Outrage en direct, indignation différée

22 mars 0 Commentaire Catégorie: Non classé

Je me méfie toujours quand on me convie à m’indigner, à un instant T que l’on a décidé, au sujet de faits fort anciens. Qui, au moment où ils s’étaient produits, étaient passés totalement inaperçus.
Le scandale (justifié) de ce qu’il faut bien appeler une agression sexuelle, de la part du journaliste Pierre Ménès, en constitue l’une des trop nombreuses illustrations.
Ainsi, il y a de cela plusieurs mois, voire années (le public pouvait être tassé dans des gradins et non masqué, c’est dire si cela date !) le sieur Ménès, dans le cadre d’une émission « touche pas à mon poste », fait irruption sur le plateau. Il se dirige vers une journaliste, Francesca Antoniotti. Il lui « prend la tête » (littéralement) et l’embrasse, a minima par surprise, mais plus certainement de force. La susdite le repousse. Les spectateurs et les personnes présentes sur le plateau, pouffent de rire. Pierre Ménès en rajoute dans la goujaterie en expliquant qu’il s’agirait d’un « pari en loges » et en faisant une mine de dégoût, comme si ce baiser avait été pour lui, une épreuve.
Quant à Francesca Antoniotti, elle semble sidérée, affligée par le gros lourdaud mais paraît bien seule face à cette scène choquante. Elle ne quitte pas le plateau. Elle ne prend pas la parole pour sermonner Pierre Ménès et lui dire combien son attitude est choquante. La présentatrice de l’émission, Estelle Denis, semble elle aussi interdite devant la scène, mais ne réagit pas, ne condamne pas. Comme si au-dessus des droits de la Femme, il y avait un totem intouchable : l’ambiance de l’émission qu’il convient de conserver absolument dans un artifice, un faux-semblant de convivialité.
Les hommes sur le plateau sont morts de rire comme s’il s’agissait d’une blague potache anodine.Ni sitôt après l’émission, ni dans les jours qui ont suivi, l’on n’en a entendu parler. Francesca Antoniotti n’a pas porté plainte. La scène a même été diffusée dans le zapping de la semaine, avec comme titre « Pierre Ménès embrasse en direct Francesca Antoniotti ». Cela est présenté comme un moment de franche rigolade, voire comme une « séquence cul-te » de la télé. Personne pour dénoncer, pour trouver cela choquant, pour dire « hé attendez une minute, qu’est-ce qu’il fait, lui ? C’est un baiser forcé, donc une agression sexuelle ! »
Il faut donc qu’une autre journaliste, Marie Portolano, « commette » un documentaire sur le sexisme dans le journalisme sportif, intitulé « je ne suis pas une salope, je suis journaliste ». Que ce documentaire soit diffusé sur Canal plus. Qu’il comprenne un rappel des agissements de Pierre Ménès (qui a également « pris les fesses » de Marie Portolano sur un plateau, soulevant sa jupe et laissant apercevoir son string et sa nudité aux spectateurs.). Que Canal Plus « coupe » cette scène à la diffusion, à la demande du service des sports de la chaîne, où officie Pierre Ménès. Que cette censure choque. Pour qu’enfin, les images de la « galoche forcée » soient exhumées, et qu’il soit de bon ton de crier haro sur le Ménès et de s’en indigner.
L’on a mille fois raison de dénoncer le sexisme, les agressions verbales et physiques, subis par les journalistes de sexe féminin dans un milieu du sport à la télé, encore trop « macho » et mysogine.
Mais cela aurait dû être fait bien plus tôt.
Qu’est ce qui dysfonctionne dans notre société, pour qu’une agression sexuelle y passe quasi inaperçue, voire soit présentée sous un jour « sympathique » d’une « blague » ou d’un « pari », sous les rires des personnes présentes, puis rediffusée dans un zapping sans souligner son caractère choquant mais plutôt comme une séquence drôle ?
Pour que la victime elle-même se sente obligée de masquer son ressenti profond et de lâcher un pauvre sourire, de peur de passer pour la rabat-joie, la briseuse d’ambiance, parce que « show must go on » ? Pour que personne, absolument personne, ne souligne sur le moment, le caractère a minima malaisant, de ce qui vient de se passer ? Pour que le public s’esclaffe parce qu’il est là pour ça ?
Pour qu’ensuite, des mois voire des années plus tard, cette même scène soit ressortie et présentée comme elle aurait dû l’être dès sa diffusion ? Qu’il soit alors de « bon ton » de s’en indigner enfin ?
« Il n’est jamais trop tard pour bien faire », selon le dicton populaire.
Il n’en demeure pas moins navrant, que la sortie d’une info, a fortiori lorsqu’il s’agit de blâmer un comportement inadmissible et d’apporter son soutien à une victime d’agression sexuelle, dépende de l’ »air du temps ». Et qu’il faille se battre bec et ongles en tant que victime pour que, justement, un tel sujet soit pris au sérieux et devienne d’actualité. Quitte à ce que l’on trouve sous Pierre, ne soit plus que du réchauffé.

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