Harcèlement moral au travail : savoir le déceler, pour mieux le combattre !

19 août 0 Commentaire Catégorie: Non classé

 

« Maître, ça se passe mal au boulot, je suis victime de harcèlement moral ! »

Ces dernières années, tout avocat saisi d’une situation conflictuelle dans le cadre du travail, que ce soit entre salariés mais le plus souvent entre un salarié et son employeur, se voit soumettre la question du harcèlement.

Les raisons en sont multiples :

-          Un contexte de marché du travail de plus en plus tendu, ce qui rejaillit sur les relations dans l’entreprise,

-          Mais aussi une plus grande prise de conscience de ce fléau social et médical que constitue le harcèlement. Le harcèlement moral n’est reconnu par une législation spécifique, que depuis 2002. Et les méthodes de management peuvent être en soi considérées comme constitutives d’un harcèlement, depuis 2009.

-          La reconnaissance accrue du harcèlement moral au travail, connaît l’attrait de tout ce qui est « nouveau ». Les justiciables ont tôt fait de se l’approprier, pas toujours à bon escient. C’est ainsi qu’au même titre des « je ne vous dois rien Maître, vu que vous ne m’avez pas fait signer une convention d’honoraires », les avocats ont vu fleurir des « je suis harcelé » à la pelle, souvent plus que de raison. C’en est au point où le harcèlement moral est devenu « l’argument-tarte à la crème » de toute demande prud’homale -au détriment des vrais cas de harcèlement, désormais noyés dans la masse de ces demandes quasi systématiques rendant les Conseillers prud’hommes, quelque peu blasés.  « Ah, vous formez une demande n harcèlement, évidemment… »

Le fait est que beaucoup, les nerfs « à fleur de peau » et ne supportant aucune critique, ont tendance à considérer qu’à partir du moment où les rapports hiérarchiques sont tendus, et où des reproches leur sont adressés, il y a forcément harcèlement moral.

C’est pourquoi il est important de différencier le harcèlement moral du stress, ou de l’agression ponctuelle, ou bien encore de mauvaises conditions de travail générales à l’entreprise.

Car si les demandes sont légions, les cas de reconnaissance de harcèlement moral sont quant à eux, relativement rares. Les procédures sont difficiles, les preuves délicates à rapporter.

Il nous semble dès lors important, chers lecteurs, de vous rappeler pour les uns, révéler pour les autres, en quoi consiste le harcèlement moral au travail et quelles en sont les sanctions. Mais surtout, comment le reconnaître et le différencier de la simple pression ou mésentente au travail.

 

1)      Le harcèlement moral, qu’est-ce que c’est ?

Selon l’encyclopédie en ligne Wikipedia, « Le harcèlement est un enchaînement d’agissements hostiles répétés visant à affaiblir psychologiquement la personne qui en est la victime. Ce type de comportement peut être habituel et impliquer le statut social et physique. »

Il est parfois précisé que ces agissements ont pour but d’ « épuiser ou de tourmenter la victime ».

A cet égard, le terme anglais pour harcèlement, « harrasment », est encore plus parlant. La victime est en effet bel et bien épuisée, harassée, par cette situation qu’elle subit.

 

Il faut donc pour qu’un harcèlement moral soit reconnu :

- un enchainement d’agissements hostiles répétés : une remarque ponctuelle sur la qualité de votre travail, a fortiori si elle se trouve justifiée, ne sera pas constitutive d’un harcèlement. Pas davantage le fait que vos idées ne soient pas retenues.

- une victime : les attaques sont le plus souvent individualisées, visent une personne en particulier.

- un but poursuivi. Le propre du harcèlement moral, c’est qu’il n’y a pas deux interlocuteurs divisés par un conflit, il y a un dominant et un dominé, et surtout aucune raison objective à ce soudain déferlement de mépris, voire de haine. C’est d’ailleurs ce qui est le plus déstabilisant pour la victime de harcèlement qui va insidieusement être conduite à se remettre en cause, ce alors même que le harceleur lui adresse des reproches injustifiés si ce n’est par un problème d’égo, de jalousie, ou de rivalité.

 

Le harcèlement moral au travail est défini quant à lui par un article du Code du travail qui interdit les « agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié, à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » (article L1152-1 du Code du travail).  

 

2)       Harcèlement moral, ce que dit la loi ?

Le harcèlement au travail peut être sanctionné

-          Au niveau civil, par l’octroi de dommages-intérêts.

  • A l’encontre de l’employeur, qu’il soit ou non le responsable du harcèlement, qu’il a le devoir de prévenir et de réprimer au sein de son entreprise, dans le cadre de son obligation de préservation de la santé et de la sécurité de ses salariés. (Code du Travail, articles L 1152-2 et L 1154-1 et L 1154-2 s’agissant de la protection des salariés du secteur privé ; Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : article 6 quinquiès s’agissant du secteur public ; code civil article 1242 : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. (…) Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés»
  • A l’encontre de l’auteur même du harcèlement, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle de l’article 1240 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

-          Au niveau pénal, par deux d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende (Code pénal, articles 222-33-2) : « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »

 

Le « décor » étant ainsi planté, voyons in concreto, quelques situations non exhaustives, pouvant évoquer le harcèlement moral au travail.

 

3) cas pratique de harcèlement moral au travail

 

Benoît a de quoi être fier de lui, et se son travail accompli : manager d’une équipe de près de 30 personnes, il est en passe d’obtenir les meilleurs résultats réalisés par l’entreprise, depuis sa création.

Mais Benoît se trouve malgré lui, au cœur d’une lutte de pouvoirs au sein de la direction. Un ancien dirigeant a « passé la main » à son adjoint, mais voyant la réussite de ce dernier grâce à Benoît et son staff, son égo ne supporte pas que l’on puisse faire mieux que lui, et que l’adjoint récolte des lauriers pourtant mérités. Il fait donc en sorte de revenir aux manettes de l’entreprise, redevenant calife à la place du calife, et écartant l’adjoint, juste avant la fin de l’exercice social.

Benoît symbolise la réussite de l’ancien adjoint, il est trop identifié à lui. Il devient gênant et doit donc partir.

Mais comment faire alors qu’il donne entière satisfaction ? « L’on ne change pas une équipe qui gagne », selon le dicton.

Son dirigeant va donc dans un premier temps, faire en sorte que l’équipe perde. Commence alors l’opération de déstabilisation.

Il clame à qui veut l’entendre, qu’il ne croit pas en cette équipe et qu’elle ne parviendra jamais à son objectif. Benoît et son staff ne se sentent pas soutenus par la nouvelle direction, ce qui peut nuire à leur motivation.

Ils y trouvent toutefois une force supplémentaire, et mettent un point d’honneur à faire mentir le dirigeant qui ne croit pas en eux. Non pour le convaincre lui (on ne peut donner à boire à un âne qui n’a pas soif) mais pour mieux le défier, et par amour-propre personnel. Il ne croit pas en nous ? Nous allons prendre un malin plaisir à lui démontrer qu’il a tort !

Au fur et à mesure que les bons résultats s’enchaînent, le dirigeant enrage.

La tentative de déstabilisation monte d’un cran.

Après avoir ostensiblement boycotté une réunion de présentation de résultats de l’équipe, montrant ainsi son désintérêt, le dirigeant convoque Benoît à un entretien préalable à éventuelle sanction, pouvant aller jusqu’au licenciement, quelques jours avant la remise du travail final de l’année. L’entretien est fixé au lendemain de cette réunion cruciale !

Benoît se sent sur la sellette, il sait bien que la date choisie pour cet entretien n’est pas le fruit du hasard.

Il surmotive son équipe et celle-ci remporte le challenge inter-entreprises dans lequel elle était engagée !

Le dirigeant ne manque pas de poser devant les journalistes pour en récolter le fruit. C’est SON entreprise, il est LE patron qui a gagné !

Mais le lendemain, il reçoit tout de même en entretien préalable, Benoît qui ne fait plus partie de ses plans, réussite ou non.

Bien sûr, il ne peut pas le licencier pour insuffisance professionnelle après cette glorieuse victoire.

Mais il a plus d’un tour dans son sac et va faire en sorte, de pousser Benoît à craquer, en pourrissant ses conditions de travail pour l’exercice social suivant.

Il prend des prétextes aussi anodins que bidons : « tel jour, vous avez manqué à la cohésion de groupe en ne déjeunant pas avec votre équipe ! Vous aviez l’accord de mon prédécesseur ? Veux pas le savoir ! C’est une faute professionnelle ! En plus, vous ne vous entendez pas avec un membre de votre staff sur trente, précisément celui qui lorgnait votre place et à qui j’envisage de la donner. Enfin, je vous trouve trop proche des clients. Vous allez déjeuner chez eux. Cela n’emporte aucun préjudice pour l’entreprise, bien au contraire ? Peu me chaut ! je n’aime pas cela, et j’entends vous sanctionner pour ces faits. D’abord, je suis le patron, je fais ce que je veux ! Ici c’est chez moi, je pisse dans mon lavabo si ça me chante ! »

Benoît reçoit bientôt sa sanction. Pas un licenciement, non…mais une rétrogradation. Il voit l’unique salarié avec lequel il ne s’entend pas, devenir son chef. Il se trouve lui-même relégué à des tâches subalternes. Les nouveaux salariés qu’il avait lui-même recrutés pour renforcer son équipe, et qui étaient venus spécialement pour lui, ne comprennent pas. L’unité du groupe vole en éclats.

Benoît est isolé contre son gré. Il est déconnecté du groupe. L’entourage professionnel, par manque de courage, docilité, égoïsme ou peur, se tient à l’écart.

 Des allusions malveillantes ciblent sa compétence, son travail, sa personne, voire sa vie privée.

Benoît se sent dévalorisé, humilié, victime d’une situation parfaitement injuste.

La vie en groupe avec son équipe devient pour lui une souffrance.

 

Comme Benoît, les personnes visées sont le plus souvent celles qui ont beaucoup investi dans leur travail et qui sont conscientes de bien faire. Ou celles qui ont un profil différent des autres, de par leur trop grande aisance, leur forte personnalité. Ces individus gênent certains.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les “harceleurs” ne visent pas forcément quelqu’un pour ses faiblesses mais plus pour sa non-conformité. Ils appliquent dès lors un dicton japonais très explicite : “le clou qui dépasse rencontrera le marteau”.

Ils vont alors s’employer à isoler leur victime par tous les moyens possibles pour ensuite l’agresser continuellement, sans raison aucune. Et c’est cette absence de raison qui fait rapidement perdre pied.

La personne harcelée ne comprend pas ce qui lui arrive, tente de trouver un sens aux attaques mais n’obtient jamais de réponse. Elle finit par douter d’elle-même, ne sait plus ce qui est normal ou non dans le comportement des autres et dans le sien. L’engrenage est malheureusement très rapide.

 

Que Benoît se rassure : il a non seulement la loi mais les tribunaux pour lui.

 La Cour de Cassation a considéré comme constitutifs de harcèlement moral :

- la critique injustifiée. (Cass. Soc. 8 juillet 2009, n°08-41638)


-  les mesures vexatoires. Le salarié avait fait l’objet de multiples mesures vexatoires, telles que l’envoi de notes contenant des remarques péjoratives assénées sur un ton péremptoire propre à le discréditer, les reproches sur son « incapacité professionnelle et psychologique » et sa présence « nuisible et inutile », le retrait des clés de son bureau, sa mise à l’écart du comité directeur, la diminution du taux horaire de sa rémunération. La Cour de cassation a retenu que ces faits ne pouvaient être justifiés par l’exercice par l’employeur de son pouvoir de direction  (Cass. Soc. 26 mars 2013, n°11-27964)

- les tâches dévalorisantes : Le fait de confier à un salarié des tâches ne correspondant pas à sa qualification  (Cass. Crim. 6 février 2007, n°06-82601)

- l’agressivité : Comportement agressif du supérieur hiérarchique traduisant une volonté de restreindre les fonctions du salarié (rétrogradation) en l’absence d’explications  (Cass. Soc. 24 juin 2009, n°07-45208)

- la mise au placard :  Cass. Soc. 7 janvier 2015, n°13-17602 Cass Soc 6 février 2007, n°06-82601,

- Des sanctions injustifiées tee qu’un avertissement infondé (Cass Soc, 22 mars 2007, n°04-48308.
 Cass. Soc. 16 avril 2008, n°
06-41999)

Il en va de même pour les pressions disciplinaires subies par le salarié (Cass Sioc,18 mars 2014, n°13-11174).  

 

En conclusion :

Le harcèlement moral est un comportement inacceptable dans une société et peut endommager la santé mentale et physique du salarié. Si vous vous reconnaissez dans ces exemples, il est important d’agir et de signaler ce comportement à votre employeur en lui adressant une lettre recommandée. Si à la suite de cette signalisation, aucune mesure interne n’est mise en place, vous pouvez vous adresser à l’inspecteur du travail qui est soumis à l’obligation de confidentialité, ou porter plainte.

 

Depuis la loi Travail , il suffit pour le salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement pour disposer de moyens d’action à la fois devant le Conseil des prud’hommes et devant le juge pénal. (Loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels et Article L1154-1 du code du travail)

N’oubliez jamais que tout harcèlement constitue une violence, et doit être poursuivi et réprimé comme tel.

Aucun employeur, aucune entreprise, aucun emploi ne justifient que vous leur sacrifiiez votre santé physique et mentale !

Pensez également à vos successeurs : si vous ne prenez pas l’initiative de faire donner un coup d’arrêt rapide à de tels comportements, vous exposez le salarié qui vous succèdera, à subir le même sort.

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