Un petit jeu sans conséquences
Nicolas n’avait pas 20 ans.
Il a mis fin à ses jours.
Un soir d’octobre, il s’est tiré une balle de 7.65 dans la tête.
L’enquête s’est rapidement tournée vers sa petite amie ou plutôt, celle qui depuis des mois, lui faisait connaître une relation ambiguë d’ « amour-amitié ». De celles que l’on ne croirait voir que dans les films. Sauf que « le mariage de mon meilleur ami » ne se termine pas par la mort de l’amoureux transi.
Adeline et Nicolas se sont rencontrés à la fac. Très vite, entre eux, s’est noué une belle complicité. Ils étaient vraiment sur la même longueur d’ondes, appréciaient de se voir, de se parler, de se taquiner, comme le feraient deux amoureux qui n’osent s’avouer leurs sentiments et qui se « cherchent »…et dont on pense qu’à force de se tourner autour, ces deux-là vont bien finir par enfin, se rentrer dedans, si vous me permettez l’expression.
Sauf que. La situation d’Adeline, sur les réseaux sociaux, n’est pas passée de célibataire à « en couple », mais de « en couple » à « c’est compliqué ».
Adeline n’est pas vraiment libre, pas vraiment prise, non plus. Son copain est loin, il est militaire en opération extérieure, alors Adeline s’ennuie. Et Nicolas est la personne idéale pour pallier à cet ennui. Il la fait rire, il la sort, il est là, pour elle, tout le temps. Même pour ses coups de blues à minuit, elle appelle, il décroche. Il vient, aussi.
Nicolas ne se rend pas compte qu’il est un ver luisant amoureux d’une étoile. Qu’il espère l’impossible. D’ailleurs, quand il se lance à avouer ses sentiments envers Adeline, celle-ci le renvoie dans ses cordes, aussi sec.
« Mais t’es nul, de me dire ça ! Il faut qu’on parle…Je t’en veux, tu es en train de gâcher une si belle amitié ! Arrête de te faire des films…j’ai quelqu’un dans ma vie, je te le rappelle ! Ne rends pas les choses plus compliquées…nous deux, c’est juste une super amitié, hein ! »
Nicolas encaisse. Il se prend à avoir rêvé. « moi, je me suis fait des films… » ; Mais rien ne se perd, à l’ère du numérique. Alors il relit les échanges avec Adeline, par SMS, sur les réseaux sociaux…N’est-ce pas elle qui lui faisait une scène de jalousie parce qu’une « rivale » lui tournait autour, sermonnant gentiment Nicolas : « celle-là, elle va m’entendre ! Tu n’as pas besoin de petite amie, puisque tu m’as, moi » ?
N’était-ce pas la même Adeline qui lui donnait du « mon trésor », du «petit bichon » ?
Ah mais, « petit bichon », c’est affectueux, je le dis à tout le monde, même au serveur qui m’apporte un café avec mon journal préféré, se défendra t’elle…« Tout ça, ce ne sont que des mots… »
Mais Nicolas n’est pas formaté pour cela. Lui, il y a cru, à un amour naissant entre Adeline et lui. D’ailleurs, après trois jours de silence, c’est elle qui reprend contact. « Alors, petit bichon, tu boudes ? Tu m’en veux ? »
Nicolas est fou d’amour, fou de douleur, aussi.
Quand il voit Adeline se détacher brusquement de lui, Nicolas ne comprend pas, et craque.
Il commence par aller poser sa carte d’identité dans la boîte aux lettres d’Adeline. Uniquement pour qu’elle l’appelle, et lui dise « j’ai trouvé ta carte dans ma boîte, tu sais comment elle est arrivée là ? » et qu’elle lui propose de venir passer la chercher.
Sauf que la seconde fois qu’il reproduit son manège, Adeline, vaguement inquiète, mais plus pour sa tranquillité à elle que pour la santé mentale de Nicolas en train de basculer, se fait plus sèche. Elle lui laisse un SMS : « retrouvé ta carte, l’ai déposée au commissariat ».
Adeline et Nicolas ont des amis communs, dans l’association étudiante qu’ils fréquentent tous deux. Chacun a bien vu le petit manège, le jeu de séduction, le « suis-moi-je-te-fuis, fuis-moi-je-te-suis » d’Adeline. Et Nicolas qui la suivait comme un bon chien-chien. Mais il a plutôt l’air d’un basset triste, actuellement.
Alors, tandis qu’Adeline se met à minauder avec l’un de ses amis, devant Nicolas, cet ami met les choses au point. « Arrête, Adeline, je ne suis pas ton mari. Je ne suis que le témoin à ton mariage ».
Nicolas est abasourdi. La terre entière vient de s’écrouler sous ses pieds, et de l’engouffrer vivant.
« Comment cela, tu te maries ? »
« Oui, lui répond Adeline, et d’ailleurs, je suis enceinte de mon fiancé ».
Voilà Nicolas ramené à sa triste condition aux yeux d’Adeline. Il n’aura jamais été qu’un idiot utile, qu’un boute en train au sens premier du terme : ce cheval chargé d’exciter la jument mais qui devra laisser sa place à l’étalon au dernier moment, celui de la saillie.
Il se revoit le soir, chez Adeline, seul, à lui rédiger ses devoirs de TD, tandis qu’elle sortait avec ses amies. Il avait droit à deux grosses bises à son retour, parfois à un serrage dans les bras, quelques caresses « amicales » mais pas trop, faudrait pas que ça dérape, je suis promise, moi, hé ho.
Il se remémore les mots doux, les nuits blanches à échanger des textos, l’impression qu’Adeline voulait le faire entrer dans son intimité familiale, et pas que…
N’avait-il pas été invité à la première communion de son frère et de sa sœur, en présence -gênante- du fiancé-militaire, revenu d’OPEX pour l’occasion ?
Nicolas ne comprend plus, ou plutôt, il comprend trop.
Certaines femmes croient, à tort, qu’on ne peut se comporter avec un homme, qu’en usant de séduction. Que l’on ne peut s’en faire un ami, que si on lui donne, a minima, l’espoir qu’il pourra peut-être, devenir l’amant.
Mais pensent-elles seulement aux risques collatéraux pour la personne concernée ?
Car quand le jeu va trop loin, la marche arrière est rude, pour l’amoureux transi.
Et il faut qu’il soit psychologiquement assez solide, pour encaisser le « jeune homme, vous vous êtes mépris sur mon compte, je ne suis pas celle que vous croyez, mais qu’est-ce qui vous a pris, vous vous êtes monté le bourrichon tout seul, vous avez tout gâché entre nous… »
Nicolas, lui, n’était pas assez solide.
Il a appelé Adeline. Lui a dit « je veux vivre avec toi ». Elle l’a sèchement éconduit, elle, la femme sérieuse et parfaite qui allait se marier. Il lui a dit « je t’aime ». Puis elle a entendu un claquement sec.
Nicolas s’est tiré une balle. Avec le revolver qu’Adeline lui avait procuré.
Adeline a parait-il, beaucoup pleuré.
Les parents de Nicolas ont porté plainte.
Adeline a été condamnée à 18 mois de prison avec sursis.
Pour ce qui se voulait, un petit jeu sans conséquences.