Rien qu’un simple fait divers. En plein été.
Dans la nuit du 29 au 30 juillet dernier, dans un quartier de Beaune, des coups de feu ont retenti.
L’on déplore plusieurs blessés (sept, sur la vingtaine de présents), dont l’un, âgé de 24 ans, a été criblé d’impacts, au poumon, au foie, au rein et au dos.
Cet acte aurait, dans d’autres lieux, avec d’autres victimes, et dans d’autres circonstances, eu droit à la une des journaux, qu’ils soient écrits, télévisés ou radiodiffusés.
Sauf que. Les victimes sont « des jeunes ». Ils n’ont pas tous la peau bien blanche. Les faits se sont déroulés près d’un skate park, dans un « quartier ». Comprendre : un lieu à part, peuplé de gens « différents », un « autre monde » avec tous les clichés qui vont avec, un monde que beaucoup imaginent avec des populations, des mœurs, des lois « différentes ».
Pourtant, ce monde, c’est la France. Il est habité majoritairement par des Français. Il se trouve sur le territoire de la République et en observe les lois. Il s’agit d’un quartier tranquille.
Mais parce que les préjugés ont la vie dure, cet acte extrêmement grave, qui peut recevoir la qualification de tentative d’assassinat, restera au rang d’un simple fait divers, en plein été.
Bien plus, aussitôt, la thèse privilégiée par la Justice sera celle du « règlement de comptes ». Dame, c’est que des jeunes qui sortent tard, et se retrouvent entre eux au skate park, un soir d’été, ne peuvent être que des délinquants, des trafiquants, des consommateurs de drogues…
Résultat, là où d’ordinaire, des cellules psychologiques sont organisées, les victimes et leur entourage n’y auront pas droit.
Les politiques condamneront l’ « incident » du bout des lèvres, en tout cas leur indignation et leur assurance de soutien aux victimes ne sera pas à la hauteur du caractère gravissime des faits.
Certains même, viendront surfer sur la vague populiste pour dénoncer l’insécurité, « l’immigration anarchique », les « quartiers, territoires hors la loi », et fustiger ces « jeunes délinquants qui feraient mieux de rester chez eux, d’ailleurs que faisaient-ils à traîner si tard ? »
En d’autres termes, outre le fait de lier délinquance et immigration, insécurité et immigration, ce sont les victimes qui par un singulier renversement des rôles et des valeurs, se sont trouvées sur le banc des accusés. L’on n’est pas loin de dire qu’elles « méritaient leur sort ».
Sur les réseaux sociaux, trustés par des membres très actifs et visibles de la « fachosphère », d’aucuns se sont déchaînés en ironisant sur « l’ouverture de la chasse aux pigeons » et en se réjouissant ouvertement du sort réservé aux victimes, voire pour déplorer qu’il n’y en ait pas eu davantage ou de plus gravement atteintes encore.
Mais le plus dégoûtant, le plus révoltant, restait à venir.
De nombreux témoignages directs sont concordants sur le fait que des propos racistes aient été proférés par les tireurs. « Sales bougnoules », « rentrez chez vous ».
C’est ce qui rend les faits d’une particulière gravité, et parfaitement odieux.
Dès lors, définir les victimes comme des « délinquants », relier leur agression à l’immigration, ironiser sur ce qui constitue une tentative d’assassinat sur fond de motivations racistes, revient à cautionner les agresseurs, qui ne feraient qu’œuvre salutaire de « faire Justice » en « nettoyant le quartier ». Car oui, pour d’aucuns, les musulmans, les « arabes », les « noirs », les « roms »…sont des tâches, des saletés, des déchets, qu’il convient de « nettoyer » (au Kärcher ?)
En tout cas, pour des personnes que l’on définit comme de dangereux nuisibles, des délinquants, des violents, des « ennemis de la France », leur réaction digne, responsable, et confiante en la Justice, apporte le plus cinglant des démentis, à tous les préjugés les plus moisis.
A-t-on vu des caillassages de forces de l’ordre et de pompiers, des casses de magasins, des feux de poubelles et de véhicules, en signe de « protestation » ? Nullement. Bien au contraire, les habitants du quartier ont demandé davantage de présence policière !
Mon pays me fait mal.
Oui, j’ai mal à ma France, quand je constate qu’elle est à deux vitesses, voire plus. Qu’elle connaît des indignations à géométrie variable. Que l’on peut y canarder ses enfants, au nom de « sales bougnoules », sans que cela vienne réveiller nos consciences dans la torpeur de l’été. Cela est pourtant mille fois plus grave qu’un Benalla place de la Contrescarpe. Mais nous ne sommes pas tous égaux face à l’agression, apparemment. Quant à la fraternité…
Dans ce pays, y aurait-il des citoyens « de seconde zone ? » Des sous-citoyens, dont le sort nous préoccuperait encore moins que celui des animaux abandonnés lors des départs en vacances ?
Qui exclut l’autre ?
Non, une tentative d’assassinat de masse sur fonds de racisme, ce n’est pas un fait divers de plus.
Si le Pasteur Martin Niemöller et Bertold Brecht étaient encore de ce monde, ils pourraient compléter ainsi, leur tristement célèbre témoignage
« Quand ils sont venus chercher les immigrés, je n’ai rien dit : Je n’étais pas immigré
Quand ils sont venus chercher les jeunes des « quartiers », je n’ai rien dit : je n’étais pas un jeune des quartiers.
Et, puis ils sont venus me chercher.
Et il ne restait plus personne pour protester »
Réveillons-nous !
Cela s’est passé Beaune, en juillet 2018. Ville connue pour ses hospices. Terme latin, synonyme d’accueil, qui a donné, notamment, « hospitalité ».
Nous en sommes, hélas, bien loin.