Pourquoi je ne suis pas candidat
« Même un âne avec une étiquette « En marche » serait élu ! Pourquoi ne t’es-tu pas présenté ? »
C’est en ces termes -fort délicats- qu’un « ami » m’exprimait ses regrets de ne pas avoir eu l’occasion de me donner sa voix.
J’avoue que l’idée m’a un temps titillé -disons, pendant une seconde, une seconde et demie.
Mais malgré mon égo surdimentionné qui eut été flatté de retrouver mon portrait partout en ville sur des affiches, surtout avec le Président de la République en photo montage à mes côtés, et malgré les suppliques de quelque barbon qui voyait en moi le couill…euh, le suppléant idéal, il m’a bien fallu me rendre à l’évidence : d’électeur à candidat, il y a un fossé que je n’étais pas décidé à franchir.
Tant pis pour moi, et tant mieux pour les ânes.
Ce qui m’a fait reculer devant l’obstacle ? Bien des choses…dont les principales sont les suivantes.
Voici, mes chers concitoyen-nes, ma non-profession de foi.
Si je ne suis pas candidat c’est…
1) Parce que les avocats candidats, ça suffit comme ça !
L’avocat, c’est bon, mais comme tout : avec modération. Sinon, gare à l’indigestion !
Or force m’est de constater, que les avocats sont étrangement surreprésentés parmi les candidats aux suffrages des électeurs.
Aux dernières élections départementales, ils étaient même quatre de mon Barreau, à se disputer le saint-graal, sous trois étiquettes différentes.
Ce qui nous enseigne deux choses :
- L’avocat est votre bien dévoué, et ne l’est pas uniquement à ses Confrères dans la formule de politesse d’usage que nous nous adressons entre nous, fut-ce dans les courriers accompagnant les pièces communiquées à midi pour l’audience de 14 heures. Oui, l’avocat aime les gens, d’ailleurs il les défend. Son altruisme désintéressé et insatiable le pousse à servir ses concitoyens, toujours et partout, en toutes circonstances. Un avocat est nécessairement engagé, comme un percepteur est tâtillon. C’est sa nature ! Ceux qui y voient l’expression d’un narcissisme perpétuellement insatisfait, d’un égo surdimentionné, que le diable les emporte !
- L’avocat jouit d’une image naturelle de candidat « idéal ». Même les mouvements les plus « novateurs » trouvent en l’avocat, LA valeur sûre. Surtout en province, où le statut de « notable », a encore de beaux jours devant lui, avec son côté rassurant et l’admiration, la fascination, qu’il déclenche encore. Surtout, l’avocat sait s’exprimer. Il « parle bien ». Et l’électeur aime les beaux parleurs.
C’est ainsi que l’on voit, par nos contrées, des avocats pousser comme des champignons. Il suffit d’assister à une ou deux réunions électorales, de s’y faire remarquer par une question bien sentie, de ne pas oublier de se présenter avant de la poser, « Duglumeau, avocat… », et zou, vous voilà propulsé dans les hautes sphères du parti. A la grande frustration des braves militants « de la première heure » cantonnés depuis 20 ans à la claque, au tractage, au boîtage ou à tenir le stand de crêpes.
Certains le méritent, parce qu’ils sont sincères dans leur combat et fidèles dans leurs valeurs. Qu’ils veulent être utiles, tout simplement. Comme ma Consoeur Catherine N’Diaye à Mâcon.
Enfin, l’avocat, comme le chef d’entreprise, a « les moyens » de faire campagne.
Sauf exceptions, ce n’est pas l’ouvrier qui va pouvoir débourser les 30 000 euros de « ticket d’entrée » exigés par certains partis ou mouvements pour vous fournir le «kit qui va bien » : affiches, tracts…
Même pauvre comme job, l’avocat trouvera toujours un conseiller bancaire bienveillant pour lui avancer quelque denier, confiant en sa capacité de réunir 5 % des suffrages (et de voir ses frais de campagne remboursés). Pour l’ouvrier, pour l’employé, ce sera tout de suite…un peu plus dur.
Et puis, à l’image du fonctionnaire « en disponibilité » le temps nécessaire, l’avocat pourra souvent, mettre son activité « entre parenthèses » sans se retrouver fort dépourvu quand la fin de son mandat sera venue. Ses associés, ses collaborateurs, se seront chargés de « faire tourner la boutique » en son absence et de lui réserver sa place au chaud. Idem pour le chef d’entreprise. L’ouvrier, l’employé, quant à lui…
L’avocat est donc le produit à la mode en politique et c’est précisément la raison pour laquelle j’ai refusé d’être exposé en tête de gondole. Mon côté rebelle m’incitant à faire en sorte que l’étal du marchand soit un peu plus varié, ne serait-ce que pour votre bonne santé politique. Je fus donc naturellement remplacé, par…un chef d’entreprise.
2) Parce que pour vivre heureux, vivons cachés !
Les temps sont à la transparence intégrale. Or mon côté frileux et pudique, me dissuade de me mettre ainsi à nu.
Mais si je ne le fais pas, d’autres s’en chargeront.
Je n’ai donc pas envie que l’on exhume de je ne sais quel tiroir poussiéreux, mon adolescence tumultueuse et mes années de faculté agitées, un client mécontent de ma plaidoirie ou de mes honoraires, ou le fait que ma promotion de Conférence du Barreau de Paris se soit illustrée par quelques libertés avec la carte bleue de l’Ordre des Avocats dans des lieux que la morale réprouve.
Vous ne saurez donc rien, petits sacripants, sur mes escapades au Stringfellows ou à Ibiza. D’ailleurs il y a prescription.
3) Parce que je respecte mes concitoyens
Oui, j’aime « les gens ». Quand on aime, on respecte. Et respecter ses électeurs, c’est à tout le moins, s’inscrire sur les listes électorales de la circonscription dont l’on sollicite les suffrages. Or si je sévis à Mâcon, je suis domicilié « ailleurs », dans un département limitrophe, et je vote dans une ville où je ne fais que dormir -et encore, pas toujours- et dont je ne connais que mon appartement.
Respecter ses électeurs, c’est ne pas débouler de nulle part quelques semaines avant un scrutin en leur promettant des jours meilleurs, tout en sachant que si l’on est battus, l’on repartira la queue entre les jambes, d’où l’on était venu.
Respecter ses électeurs, c’est les connaître, savoir où ils vivent, quelles sont leurs réalités, leurs problèmes…tout avocat sait cela : comment défendre une personne sans rien connaître de son dossier ? Ne savoir ni qui elle est, ni quel est son souci ? En ignorant tout des textes applicables ? En ne maîtrisant pas la procédure ?
En pareil cas, l’on s’abstient de prendre sa défense. Parce qu’elle sera nécessairement mauvaise. Parce que l’on n’est pas avocat pour soi, mais pour les autres, au service des justiciables.
Je pense à tous ceux qui auront donné tant d’années de leur vie, de leur temps, au service de leurs concitoyens, « sur le terrain ».
Qui auront sacrifié des vacances, des dimanches, leur carrière professionnelle, leur famille.
Qui n’auront pas vu leurs enfants grandir.
Qui auront dû leur parcours politique, non pas à des intrigues de couloir ou au vide politique qu’ils auront su faire autour d’eux en « tuant » toute concurrence, mais au choix de leurs concitoyens et à la confiance que ceux-ci leur auront renouvelé. Parce que l’on n’administre pas une commune, un département, une région, on n’est pas serviteur de la Nation, pendant tant d’années, par l’opération du hasard ou du Saint-Esprit. Mais parce que l’on a su mériter la reconnaissance des électeurs que rien n’empêchait de ne pas la (re)donner.
Et pour qui tout s’arrêtera, un dimanche de juin.
Battus parfois par quelqu’un « de bien », compétent, dynamique, méritant sa chance. Mais parfois également, par un âne.
Parce que « l’inexpérience, ce n’est pas grave » ; qu’il faut « laisser la place aux jeunes » ; qu’on l’aura « trop vu », comme s’il s’agissait d’une vedette de la chanson ou de la télé passée de mode. Que l’ignorance crasse est qualifiée de « fraîcheur ».
Pour ceux qui seront dégagés et pour qui ce sera une réelle injustice.
Parce que je les respecte autant que mes concitoyens.
Parce que même s’ils semblent avoir « fait leur temps », j’ai envie de leur dire merci.
Oui, c’est pour eux aussi que moi, le rigolo, l’ignorant, le béotien, l’âne bâté, celui qui « parle bien » mais ne connaît pas le terrain ni les dossiers, je ne suis pas candidat.