Maître nageur, Justice qui se noie

10 mars 0 Commentaire Catégorie: Non classé

Entre deux tweets et deux articles de blog, il m’arrive aussi d’exercer mon métier.

Ne serait-ce que pour avoir matière à alimenter les réseaux sociaux…

Tenez, pas plus tard que cet après-midi, j’ai gagné un procès en diffamation.

Je n’en ai aucun mérite: la citation adverse a été déclarée irrecevable, à cause…du Tribunal et d’une greffière fort opportunément en arrêt-maladie et non remplacée.

Tout commence cet été: un baigneur en slip de bain (jusque-là, rien d’anormal) aborde un surveillant de la piscine municipale de X

« Dites-moi, mon brave, vous arborez un joli t-shirt floqué « MNS »…vous êtes donc maître-nageur sauveteur ?’
« Que nenni, messire. j’ai juste un brevet de secouriste « BNSSA ».

Erreur fatale: il se trouve que le quidam en slip de bain, a la double qualité d’ancien maître nageur, et d’avocat de profession…
Deux qualités, et un défaut: comme tout avocat qui se respecte, il cherche constamment un auditoire et ne perd jamais une occasion de se faire de la pub pas cher.

Or l’occasion est belle: les MNS et les BNSSA, c’est son dada. On ne mélange pas les serviettes et les torchons, môssieur ! Un MNS c’est le noble, celui qui peut se targuer d’une année de formation, et qui seul peut dispenser des cours de natation. Le BNSSA, en revanche, c’est le manant. Il n’a eu qu’une vague formation d’un mois, et peut uniquement jouer les surveillants de baignade, et plonger pour sauver un nageur en perdition, comme dans Alerte à Malibu.

Ni une, ni deux: notre maître nageur-avocat-justicier-redresseur de torts rameute la fine fleur de la presse quotidienne locale, et s’offre une double page dans le journal. Une interview avec sa photo en quadrichromie technicolor et en très gros, il dispense la bonne parole en qualité d’expert ès-piscines, mais également en tant que témoin, et qu’avocat…
Et quitte à en faire profiter les copains, et apporter du crédit à l’article, il rameute une fédération nautique et son président.

Horreur, malheur ! Le journaliste zélé, lui aussi en quête de sensationnalisme et de son heure de gloire,  rêve du prix Pulitzer et sort le titre racoleur qui tue : « soupçons de fraudes sur les titres de MNS à la piscine de X »

Le maire de la Commune en est tout chiffonné; ni une ni deux: il charge son avocat de faire délivrer une citation directe en diffamation.

Contre l’avocat-témoin imprudent ? Que nenni ! On ne se mange pas entre crocodiles… il sera donc épargné, mais pas la fédération nautique ni son président, et encore moins, le journal et son directeur de publication…

Une première audience a donc lieu le 13 janvier; à celle-ci, le président de la fédération se déplace : 400 km aller, arrivé la veille, frais d’hôtel, tout cela pour se faire expliquer que l’affaire ne sera pas plaidée ce jour-là: elle ne vient que pour « fixation », et consiste à indiquer quelle somme devra consigner la commune (dont l’avocat est venu, lui, spécialement de région parisienne) en garantie du « sérieux » de sa plainte. Le Tribunal opte pour 500 euros, ce qui ne devrait pas être trop difficile à réunir, sans devoir augmenter les impôts locaux. Et l’affaire est renvoyée derechef au 10 mars, « mais on ne sait pas si elle sera plaidée ce jour-là, hein, ça dépendra de si on a le temps et de l’encombrement de l’audience.Sinon ce sera en juin. Mais revenez quand même le 10 mars ».

Le 13 février, le Tribunal adresse à l’ensemble des parties, sa décision du 13 janvier dactylographiée, enjoignant la commune à consigner 500 euros à la régie, « avant le 12 février »…

A l’audience du 10 mars, le président de la fédération nautique n’est pas là, il a fait un malaise en chemin…et c’est bien dommage pour lui car il a manqué un grand moment de l’histoire judiciaire.

L’avocat du Journal: « je soulève l’irrecevabilité de la citation directe; la somme mise à sa charge n’a pas été consignée dans les délais ! »

L’avocat de la commune : « Mais je ne pouvais pas ! Une commune ce n’est pas comme un particulier, c’est une collectivité publique ! Tant que je n’avais pas le jugement ordonnant la fixation à 500 euros, le comptable ne pouvait rien décaisser ! Et comment se fait-il que cette décision ne nous soit parvenue que le 13 février pour une dead line au 12 ? »

La juge (embarrassée): « c’est que la greffière du tribunal correctionnel était en congé maladie et non remplacée… »

L’avocat de la fédération et de son président : « la somme de 500 euros a été annoncée le 13 janvier, en audience publique, et en présence de l’avocat de la commune, ici présent. Il aurait pu faire l’avance des fonds à sa cliente quand il s’est aperçu qu’il allait être hors délai pour consigner ! »

L’avocat de la commune, se raccrochant au Tribunal comme un naufragé à sa bouée de sauvetage : « Madame le Président je vous rappelle que vous m’avez autorisé à consigner en retard ! »

Après un bref délibéré, la sanction tombe: « la consignation a été adressée hors délai. disons la citation directe irrecevable ».

Et ce n’est pas régularisable…

L’on ne remerciera jamais assez les fonctionnaires malades, et la précarité de la Justice qui empêche de pourvoir à leur remplacement.

Une question me taraude: dans de telles circonstances, devrons-nous, avocats, nous muer en banquiers, et faire l’avance à nos clients, de la consignation de partie civile pour éviter une irrecevabilité ? D’ailleurs, la régie du Tribunal de Grande Instance peut-elle accepter qu’une somme soit consignée en ses comptes sans aucun document justificatif à l’appui ?

Le plus simple serait encore que l’avocat de la partie civile, rédige lui-même le jugement ordonnant la consignation…

En attendant, pour le maire de la commune se disant diffamée, il y a vraiment de quoi se bouffer les doigts ! (et je reste poli !)

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