La Justice, moi, j’y crois. La politique, un peu moins. Lettre ouverte à Monsieur Bruno Retailleau.
Monsieur le Président du groupe Les Républicains au Sénat
Monsieur le Sénateur
Monsieur le Président du Conseil Régional des Pays de Loire
Cher Monsieur
Vous étiez invité ce 6 septembre 2016, sur la station de radio Europe 1.
Interviewé par Monsieur Jean-Pierre Elkabbach sur ce que l’on appelle « l’affaire Bygmalion » et les réquisitions de renvoi de Monsieur Nicolas Sarkozy devant le Tribunal correctionnel dans ce cadre, vous avez rappelé qu’une mise en examen n’était synonyme ni de culpabilité, ni de condamnation. Et en cela, vous avez bien fait.
Mon cœur d’avocat saigne chaque fois que je vois un nom jeté en pâture, qu’il s’appelle Nicolas Sarkozy ou Jean Dupont; et quand je constate que, par ignorance de la plupart et la méchanceté plus ou moins gratuite des autres, trop souvent un mis en examen se trouve déjà mis au banc de l’infâmie, pré-jugé et condamné par le Tribunal de l’Opinion publique, ne s’embarrassant guère de respect de la présomption d’innocence ni de procès équitable.
Pour tenter d’atténuer ce désagrément, le Législateur –vos prédécesseurs, Monsieur Retailleau- avait opéré une transformation sémantique, transformant l’inculpé, dont la terminologie ramenait trop à la culpabilité, en un plus neutre « mis en examen ».
Merci donc à vous d’avoir rappelé que mis en examen n’est pas coupable. Même si je déplore que trop souvent, les politiques ne découvrent ce principe essentiel du Droit et des Libertés Fondamentales, que lorsqu’il a vocation à s’appliquer à une personne de son propre camp, pour prestement l’oublier dans le cas contraire.
Au-delà de la mise en examen, vous eussiez pu également, rappeler que le juge d’instruction n’était nullement tenu par les réquisitions du Parquet. Que demander n’était pas automatiquement obtenir. Qu’ainsi, une demande de renvoi devant le Tribunal correctionnel de Nicolas Sarkozy par le Ministère Public, pouvait ne pas être suivie par le juge d’instruction lequel conserve la maîtrise de la procédure. J’en ai encore eu l’illustration récemment dans une affaire : mon client était mis en examen du chef de faits particulièrement sordides. Réquisitions du Parquet aux fins de renvoi devant le Tribunal Correctionnel. Non-lieu.
Mais là où je ne vous suis plus, c’est quand vous vous autorisez cette sortie: « la plupart des mises en examen se traduit par l’innocence ».
Car ce faisant, vous portez un rude coup à la crédibilité de la Justice et par la même, à l’un des piliers de notre République.
Vous insinuez en effet que les juges seraient au mieux incompétents, au pire iniques, au point de mettre en examen des personnes dont la majorité seront au final, reconnues innocentes.
En tant qu’auxiliaire de Justice, cela me fait mal, car ce n’est pas vrai.
C’est une injustice faite à la Justice, que de la taxer d’incompétence ou de partialité.
C’est faire injure à ces milliers d’hommes et de femmes, magistrats, qui jugent, requièrent, instruisent, en conscience, avec impartialité et professionnalisme, en se tenant aux seuls faits, preuves et éléments des dossiers, loin de toute considération politique ou manœuvrière semblant vous être si familiers.
Car il en va des mis en examen finalement innocentés, comme des poissons volants: ils existent certes, mais ils ne constituent pas la majorité du genre. Loin de là.
De même, certains de vos amis des Républicains ont-ils insinué que la notification de ces réquisitions à fins de renvoi devant le Tribunal correctionnel, visant Nicolas Sarkozy, coïncidait avec le premier jour du procès de Monsieur Jérôme Cahuzac, et que cela n’était pas le fruit du hasard. Sans doute était-ce l’un des éléments de langage qui leur avait été suggéré pour faire passer un certain message. Le Parquet, aux ordres de la Chancellerie, se serait ainsi laissé aller à un « coup politique » visant à détourner l’attention des turpitudes judiciaires d’un ancien ministre de la République.
Permettez-moi pour ma part de ne pas imaginer un seul instant, un Garde des Sceaux ou quiconque, le nez rivé sur le calendrier judiciaire, ordonner à un procureur de prendre des réquisitions de renvoi d’un ancien Président, devant le Tribunal correctionnel, précisément le jour-même du procès d’un ancien Ministre, ce afin d’allumer un contre-feu pour des considérations bassement politiciennes et idéologiques.
C’est faire le jeu des complotistes de tout poil que de voir dans le téléscopage d’événements n’ayant aucun rapport entre eux, le moindre lien.
Monsieur Retailleau, vos compagnons politiques et vous-même, avez choisi de vous dénommer les Républicains.
Soyez-le !
Et ne laissez pas abîmer l’un des piliers de la République et de la démocratie, qui est, avec la crédibilité des élus, la confiance en une Justice impartiale.
Ne vous laissez pas aller à de telles petites phrases politiciennes qui écornent la confiance des citoyens envers leur Justice et envers vous-mêmes.
Quand le peuple n’a plus confiance en ceux qui le mènent et ceux censés lui rendre Justice, savez-vous ce qui arrive ?
Si nous ne pouvons nous fier ni à ceux qui nous gouvernent, ni à ceux qui nous jugent, que nous restera t’il ?
Ne laissez pas s’instiller sournoisement dans les esprits de nos concitoyens, le poison du complotisme, l’idée mortifère pour la démocratie, selon laquelle il n’y aurait plus ni morale, ni Justice, mais des dirigeants véreux et des juges partiaux qui s’entendraient pour fomenter quelque turpitude.
Dès lors, vous vous honoreriez à retirer cette phrase ou à tout le moins, à sortir par le haut de cette ornière dans laquelle vous vous êtes enfoncé, en précisant que vous vouliez dire qu’il arrive parfois que les mises en examen débouchent sur un non-lieu ou une relaxe. Mais que vous n’avez en aucun cas, remis en cause le professionnalisme, la probité, l’impartialité, de l’ensemble des magistrats.
Car Monsieur Retailleau, la Justice, voyez-vous, c’est comme l’amour.
Nous avons besoin d’y croire. Ne serait-ce que pour espérer.
L’espoir, c’est ce qui nous fait tenir. En attendant des jours meilleurs.