Protéger et Servir

22 juillet 0 Commentaire Catégorie: Non classé

Il est d’étranges hasards: aujourd’hui, la famille et les amis d’Adama Traoré organisaient une marche blanche en mémoire de ce jeune décédé dans des conditions obscures. Ce même jour, je me trouvais à plaider devant le Tribunal correctionnel, une affaire qui m’a tristement fait penser à Adama.

 Je ne sais pas ce qu’il s’est passé exactement pour Adama; tout ce que je sais, c’est qu’il était sur ses deux jambes avant son interpellation et en est ressorti les pieds devant. Il n’y aurait pas de traces de coups « significatives » (donc il y en a) et l’on nous dit qu’il souffrait d’une très grave maladie. Sans toutefois cautionner les violences et autres exactions qui ne sont jamais la bonne réponse, mais bien au contraire, brouillent le message que l’on souhaite faire passer –et la fachosphère est trop heureuse de les récupérer pour distiller ses messages de haine-, je puis comprendre le désarroi des proches d’Adama.

Rappelons qu’Adama n’était coupable de rien, et que s’interposer dans l’arrestation de son frère peut conduire à la rigueur en garde à vue, puis le cas échéant devant un Tribunal correctionnel, mais en aucun cas, à la morgue.

 Ce dont je suis certain, en revanche, et mon dossier de ce matin m’en a fourni une criante vérité, c’est qu’il est des personnes qui sont traitées par les forces de l’ordre, avec moins d’égards que d’autres.

 Il est des lieux, où il faut appeler la police pas moins de huit fois avant qu’elle daigne se déplacer, deux heures plus tard, alors qu’un voisin vous menace avec un couteau et que vous êtes retranchée avec vos enfants dans un appartement.

 Il est des personnes dont des fonctionnaires blasés ne prennent pas les plaintes, ou qui sont même dissuadées d’en déposer. Ce fut le cas dans mon affaire de ce matin. L’on ne prit même pas la peine de relever les preuves du délit qui venait d’être commis: traces de sang sur un volet, encoche sur un arbre dans lequel s’était planté un couteau qui fort heureusement, avait manqué sa cible humaine.

 Il est des personnes qui s’entendent dire avec fatalité: « encore votre immeuble, encore vous…en plus c’est une dispute familiale, c’est toujours comme ça avec « vous », qu’est ce qu’on y peut ? »

 Il est des personnes qui, ces écueils passés, maintenant avec courage et abnégation leur souhait de porter plainte, constateront que l’enquête se résumera à leur seule déposition, et que ce sera parole contre parole à l’audience (si l’affaire par miracle arrive jusqu’au jugement et n’est pas classée en amont !). Aucun témoin entendu, pas même les 5 enfants retranchés dans l’appartement avec leur maman…pas même le mari qui a retrouvé le couteau, pièce à conviction…

Il est des personnes que l’on n’aime pas protéger, et à qui on refuse de rendre Justice.

Dans « mon » affaire de ce matin, l’avocat du prévenu a eu beau jeu de souligner que l’enquête avait été bâclée; d’en fustiger les carences. Et de solliciter la relaxe de celui qui comparaissait, excusez du peu, pour menaces de mort, avec signe d’égorgement, et jet de couteau…

Un Parquet désemparé par la vacuité du dossier s’en est « courageusement » remis à la « sagesse du Tribunal »…ce qui est l’expression consacrée quand le Ministère Public est démuni, enrage mais ne veut pas trop le reconnaître…c’est un moyen de « transférer la patate chaude » aux juges du siège…

Ma cliente, victime des menaces, n’a dû son salut qu’aux explications maladroites et alambiquées du prévenu qui s’est décrédibilisé tout seul. Mais que serait-il advenu s’il avait eu l’intelligence de ne point trop rentrer dans les détails, voire tout simplement, de se taire ?

Oui, il est des personnes pour qui, obtenir simplement Justice, tient du parcours du combattant.

Parce qu’ »on »‘ ne veut pas se déplacer suite à leurs appels au secours

Parce qu »on’ ne veut pas prendre leur plainte

Parce qu »on » ne veut pas enquêter, ou de mauvaise grâce, sur l’air de « ils ont qu’à régler ça entre eux »

Parce qu’ »on » met dans le même sac, l’agresseur et l’agressé, l’auteur et sa victime. Après tout ne sont-ils pas cousins, parents, ou de la même origine ?

« Maître, c’est qu’une histoire de querelle entre arabes », m’étais-je un jour entendu indiquer, par un policier alors que je venais assister un gardé à vue.

Ce sont ces mêmes personnes à qui les papiers seront demandés trois fois, cinq fois, dix fois de suite dans la même journée, parfois par les mêmes fonctionnaires.

 Et l’on voudrait que la famille et les proches d’Adama ne soient pas méfiants ?

Et l’on voudrait qu’ils acceptent sans rien dire, les différentes versions du décès de leur cher disparu, qui leur ont été servies ? « crise cardiaque », « grave infection »…

 Jacques Chirac nous disait « il y a dans ce pays, une rupture, une fracture ».

Le candidat à la Présidence de la République, parlait alors d’une fracture sociale.

Mais c’est une véritable fracture sociétale dont il s’agit.

Fracture entre une population et ceux pourtant censés les protéger, les défendre, et les servir.

« To protect and to serve », lit-on sur les véhicules de police américains…

Dans « Peur Sur la Ville », Jean-Paul Belmondo, commissaire de police, proposait à un gardé à vue: « tu poses ton pavé, je pose ma matraque, et on discute calmement. »

 Ce serait un bon début, pour essayer de réduire la fracture. Elle est béante.

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