Sous Vos Applaudissements. Trois jours de perme.

2 juillet 3 Commentaires Catégorie: Non classé

mardi, 11 h 21. Appel au secours de ma Consoeur titulaire de la permanence pénale. Cela commence fort pour elle puisque dans notre Barreau, l’avocat de permanence est mobilisé du mardi au mardi suivant. 7 jours, H 24.A devoir assurer l’assistance des personnes en garde à vue, à toute heure du jour et de la nuit. Et dans tout le ressort du Tribunal, qui rayonne à plus de 100 kilomètres autour de lui, et connaît des gendarmeries dans des endroits impossibles.

 

L’avocat de permanence doit également assurer la commission d’office pour les CRPC, le fameux « plaider coupable ». Ce qui lui mobilise son mercredi, entre négociation de la peine avec le procureur le matin, et homologation (peut-être) par le Président du Tribunal l’après-midi.

 

Il doit également répondre présent pour la défense des personnes prises en flagrant délit et connaissant les affres des comparutions immédiates. Ce qui peut lui flinguer encore, au moins une après-midi et une soirée entières.

 

Bref, l’avocat de permanence est, l’espace d’une semaine, l’homme ou la femme à tout faire. Sans compter la gestion de son Cabinet: audiences, rendez-vous clients, étude des dossiers, rédaction de conclusions. Une semaine en enfer.

 

Fort heureusement il s’agit d’un enfer partagé…ou pas. Dans sa grande sagesse, l’Ordre des avocats a prévu deux roues de secours, appelées pompeusement « suppléants ». Sans doute parce que le titulaire débordé les supplie de venir l’aider.

 

Ce qui est mon cas, ce mardi.

 

Catherine est titulaire de la permanence depuis seulement 2 heures, que déjà le téléphone orange dévolu à cette noble fonction, crépite. Les policiers et gendarmes locaux ont décidé de passer leurs vacances tranquilles et donc, de coffrer tous les dealers locaux. Des gardes à vues sont donc en cours au commissariat mais également dans une gendarmerie située à plus de 50 kilomètres (aller).

 

J’ai toujours eu de la chance. Il se trouve que l’un des gagnants d’une garde à vue gratuite, est un client que j’avais déjà assisté au mois de mars. Et qui n’a rien trouvé de mieux à faire qu’à continuer son petit bizness, sur l’air de « les juges et les lois, ça me fait pas peur ». Les mêmes causes produisant les mêmes effets, retour à la case gendarmerie, sans passer par départ et sans percevoir 20 000. Et bien entendu, vu qu’il a le mauvais goût d’habiter au fin fond de la cambrousse, sa garde à vue à 50 kilomètres, c’est pour bibi.

 

Mardi, 12 h 02: Sitôt raccroché avec Catherine, j’appelle le gendarme gradé (officier de police judiciaire) en charge de l’enquête. Qui m’indique bien entendu qu’il n’a pas pu attendre qu’un avocat soit désigné, et qu’il a déjà auditionné en long, en large et surtout en travers, mon gardé à vue, en se passant de cet accessoire non indispensable appelé avocat. Une nouvelle audition est prévue à 15 heures.

 

Mardi, 14 heures. Je prends la route très fréquentée par les poids lourds qui me mène vers mon destin. Sous une chaleur caniculaire, mais presque. L’avocat dans sa voiture non climatisée, devient guacamole. J’ai avec moi le kit de survie de l’avocat en garde à vue: carte professionnelle, papier et stylo, et surtout, le formulaire Cerfa n° 14454*03, ma preuve de mission qui me permettra d’obtenir royalement

-         61 € HT lorsque l’avocat intervient uniquement pour un entretien avec la personne gardée à vue au début de la garde à vue ou de la prolongation de cette mesure ;
- 300 € HT lorsque l’avocat intervient au cours des 24 premières heures de garde à vue, pour un entretien avec la personne gardée à vue puis, puis au cours des auditions et confrontations de cette dernière ;
- 150 € HT lorsque l’avocat intervient lors de la prolongation de la garde à vue pour un entretien avec la personne gardée à vue puis au cours des auditions et confrontations et de cette dernière. Ce forfait est dû pour chaque mesure de prolongation ;
- 150 € HT lorsque l’avocat assiste la victime lors de confrontations avec la personne gardée à vue, quel que soit le nombre de confrontations.

A noter :
- Aucune majoration pour les interventions de nuit ni pour celles effectuées hors des limites de la commune du siège du tribunal de grande instance n’est prévue, donc mes frais de voiture et d’essence sont pour moi
- Aucun cumul entre les forfaits de 300 € ou 150 € HT et la contribution de 61 € HT n’est possible, l’état est généreux mais sans excès

-         – La rétribution de l’avocat ayant accompli plusieurs interventions par période de 24 heures est, quel que soit le nombre d’interventions réalisées, plafonnée à 1200 € HT, soit l’équivalent de quatre interventions rémunérées 300 euros chacune, ce plafond s’appliquant à la rétribution des missions achevées au cours des dernières 24 heures. Autrement dit, au-delà de quatre gardes à vues, la cinquième est gratuite pour l’état, donc est pour ma pomme.

Désolé de cette digression, c’était long et fastidieux, mais ma route l’était également.

 

Mardi, 15 heures. Arrivée à la gendarmerie. Accueil courtois, nous sommes chez des militaires, on sait se tenir. L’on m’introduit sans débander, dans un local où se trouve déjà le gardé à vue. Et l’on me remet des procès-verbaux: ceux de notification de ses droits, de perquisition, et de ses premières déclarations avant que je vienne le sauver.

 

Bien entendu, l’on ne me communique rien d’autre et surtout pas les déclarations de témoins ou d’autres mis en cause. Si bien que je ne sais pas qui accuse mon client. Il paraît que c’est légal. Tout comme l’était la présence de l’avocat uniquement pour 30 minutes d’entretien, et son absence pendant les auditions, avant que la Cour Européenne des Droits de l’Homme vienne y mettre le hola et nous oblige à changer notre législation en urgence.

 

Les premières déclarations de mon client me font frémir. Il a été très –trop- bavard en m’attendant. « j’ai déjà été condamné, je dois de l’argent aux victimes, mais j’en ai rien à foutre. » « la prison, même pas peur ». Autant dire que sa défense est sapée d’entrée, à la base. Je survole les procès-verbaux, puisque l’astuce gendarmière est de me les remettre devant mon client. Allez donc vous concentrer et lire consciencieusement devant un pauvre bougre inquiet qui vous bombarde de questions pour savoir à quelle sauce il va être mangé ! « je vais rester combien de temps là ? » « qu’est ce que je risque ? » « ‘qu’est ce que je dois dire ? » « vous servez à quoi ? » « ils m’ont mis en caleçon, c’est normal ? » « putain, j’ai pas dormi, sont venus à 6 heures et je m’étais couché à 4 h 50 pour mater des films ! »

 

Mes 30 minutes d’entretien ne sont pas de trop pour faire face à ce flot de questions, comme autant d’angoisses qu’il me faut apaiser.

 

Mon client parle fort. A l’issue des 30 mn règlementaires, il ouvre la porte du bureau où je viens de le confesser. Les gendarmes qui se trouvaient juste derrière, sursautent comme des enfants pris à espionner dans la salle de bains par le trou de serrure.

 

mardi, 15 heures 30. L’entretien commence. Sous une chaleur de plomb. Mon client est en caleçon, moi en pantalon et chemise, le gendarme en uniforme. Il fait 40 degrés Sont pas humains. En plus le ventilateur nous lâche. Tout s’arrête chez les gendarmes, même le ventilateur. « désolés Maître, la clim on ne l’aura qu’en 2025 si tout va bien ».

Les questions s’enchainent, mon client répond. Il est nerveux, volubile, parle trop, comme le gamin de 19 ans qu’il est. Je le trouve en plein syndrôme de Stockholm avec les gendarmes, auprès de qui il tient absolument à fayoter. Croit-il que s’enfoncer et tout leur livrer sur un plateau va lui sauver la mise ? Qu’espère t’il ? Je l’avais pourtant averti : « ce ne sont pas vos amis, vous avez le droit de garder le silence ou de ne pas vous souvenir, pas de zèle, vous n’êtes pas un auxiliaire de l’enquête ! »

Mais c’est peine perdue. Les gendarmes en rient. « il est intarissable votre client, il nous a même donné des détails dans une affaire qu’on ne connaissait pas encore ! ». Pauvre gamin, si tu savais. Parfois il semble se rendre compte de la situation: il se prend alors le visage dans les mains. « mais qu’est ce que j’ai dit là ? » Trop tard. Et il recommence.

A la fin de cette première audition pour moi, et troisième pour lui, j’ai enfin le droit de poser des questions ou de faire des observations. J’en bouillais d’impatience, témoin jusqu’à présent muet par la force des choses et du Code de procédure civile, de l’enfoncement de mon client.

Je souligne qu’il a l’air épuisé physiquement et nerveusement. Qu’il n’a dormi qu’une heure avant d’être réveillé en fanfare. Lui fais dire qu’il est fatigué.

 

Il rejoint sa cellule, toujours aussi nerveux, visiblement en manque de substances que personne dans la gendarmerie ne peut lui fournir. Alors il se rabat sur des cigarettes.

 

L’Officier de Police Judiciaire m’informe qu’il compte le réentendre…de 21 à 23 heures. à 50 km de mon Cabinet, et 100 de chez moi. « à ce soir, Maître ». Arrrgh.

 

Or il se trouve que je garde ma belle-mère octogénaire et sourde, qui ne peut rester seule la nuit. Impossible de lui téléphoner pour la prévenir que je rentrerai tard ce soir. Je me dépêche donc de la rejoindre. En route, je téléphone à mes clients dont j’ai pu consulter les mails. Ma voiture est mon nouveau Cabinet.

 

Je ne peux même pas me rendre à l’assemblée générale de mon Ordre des Avocats…dommage, il paraît que ça va castagner. Bâtonnière trop chère, avocats en colère !

 

mardi, 18 heures 30. Arrivé chez ma belle-mère. Elle est surprise de me voir « si tôt ». Je mâche un chewing-gum, elle me dit « parlez plus distinctement, je n’entends rien !! » Je lui écris que je suis de retour mais que je repars 100 km plus loin pour « assister un client à la gendarmerie ». Inutile de parler de garde à vue, déjà qu’elle n’a plus d’ouïe. Une crêpe au jambon, un abricot, et zou, me voilà reparti, dopé au Coca.

 

mardi, 19 heures. Alors que je suis déjà en voiture, message de l’OPJ de gendarmerie. Finalement il trouve mon client trop agité pour être entendu ce soir, il va voir un médecin, prendre des cachets, et sera entendu demain matin. Je supplie « attention, demain, je ne pourrai pas être présent avant 10 h, j’ai une audience ». « on vous attendra, Maître. » Sympa.

Etant déjà en route, je décide d’aller à mon Cabinet, histoire de bosser, juste un peu.

 

mardi, 19 heures 10. Appel inquiet des parents de mon client en garde à vue. Les gendarmes leur ont donné mon numéro de portable personnel. Que je ne donne jamais, ou quasi. Précisément pour éviter les appels à 19 heures 10. Les rassurer sans rien divulguer du dossier, numéro de funambule de l’avocat du gardé à vue. Mes renseignements se limitent à « oui je l’assiste, oui il va bien mais un peu fatigué, oui il sera encore en garde à vue demain, voilà les suites possibles… ». Souvenir cuisant de quand j’étais jeune avocat (et bête). Je m’étais aventuré à dire à une femme que son mari était en garde à vue sur l’accusation d’une voisine. Sa réponse: « ah la salope, c’est une mytho, ma fille et moi on va lui casser la gueule ! » m’a fait prendre la mesure de mon indiscrétion et de ses possibles conséquences…

 

mardi, 22 heures 19: le gendarme OPJ me rappelle, pour me souhaiter bonne nuit. Mais plutôt que de me border, il m’annonce que mon client sera réinterrogé demain. avec ou sans moi.

 

mercredi, 8 heures 30. Je trouve un Confrère dévoué et dévoué Confrère, qui accepte de me substituer pour un renvoi devant le Juge aux affaires Familiales, pendant que je retourne à la gendarmerie (à 50 km je vous le rappelle).

 

Mercredi, 9 heures 10: appel à la gendarmerie, ne bougez pas, j’arrive.

 

Mercredi, 10 heures. Arrivée pile-poil. Nouvelle audition de mon client. Je le confesse, je suis un peu distrait ce matin. Mon client se noie dans des détails que j’estime sans importance. Le gendarme le laisse patiemment donner le nom de tous ses clients de stups…le gardé à vue croit pouvoir se retrancher derrière le fait que les quantités vendues soient minimes à chaque fois. Sauf qu’à la fin, le gendarme malin, fait les totaux. Et zou, piégé.

Pas d’observations. Ah si, il fait trop chaud.

 

Pendant l’audition, Catherine m’a envoyé un SMS: « tu en as un autre en garde à vue dans la même gendarmerie, qui vient de demander un avocat ». Joie. Je suis un cumulard. Sauf que les gendarmes me jurent, la main sur le cœur, que non, il n’a pas demandé d’avocat. Bon, il ne me reste plus qu’à aller manger. Histoire de saper le moral des gendarmes, je leur précise où je me rends: un excellent resto du coin.

 

Mercredi, 12 heures. J’appelle un Confrère du cru, au cas où nous pourrions casser la graine ensemble. Il me répond que justement, il se rend dans le même restaurant. Tant mieux, cela me changera des gendarmes.

 

Mercredi 12 heures 30. Mon ami arrive, avec un couple. Il me présente…le commandant de gendarmerie. Et sa compagne, policière britannique (ta mère). Décidément, rien ne me sera épargné.

 

Mercredi, 13 heures: l’OPJ me rappelle: « prenez votre temps, détendez-vous, je ne reprendrai l’interrogatoire qu’à 14 heures 30, vu qu’on n’avait plus assez de cellules, votre client a été transféré à 20 km de là. »

 

Mercredi, 14 heures 15: appel de Catherine. « mais qu’est ce que tu fais ? X a demandé un avocat depuis ce matin ! » Ah ben il veut plus. « mais si, il y a deux X en garde à vue, ils sont cousins ! il y en a un qui te veut ! ». Bon, ben, j’y vais.

 

Mercredi, 14 heures 30. « patientez, Maître, l’audition c’est pas pour tout de suite ». Et X, je peux voir X ? « patientez, Maître. »

 

Mercredi, 15 heures. Effectivement je peux voir X. Rebelote, entretien (avec cette fois un gendarme qui a la délicatesse de se tenir à distance de la porte). Très sympa, X. Audition au pas de charge, limpide, mon client dit tout. Mais quelle manie ils sont tous d’avouer ! C’est la mort des avocats, ça !

Je me tiens près de la fenêtre à barreaux pour chercher un semblant de fraîcheur. Soudain, un hurlement. Le Malinois des gendarmes m’a vu depuis l’extérieur. Il veut me bouffer. Il a failli, d’ailleurs. Cette sale bête a sauté sur moi mais a été arrêtée par les barreaux. « vous avez eu de la chance, Maître. C’est pas un chien pour les stups, c’est un mordeur. Nous non plus il ne nous aime pas… » Couché, Rintintin.

 

Mercredi, 16 heures 15. Fin de mon interrogatoire avec X. Je découvre alors que mon autre client, a été auditionné dans l’intervalle. Sans moi. Sans me prévenir. Sans attendre une heure que j’aie fini avec X deux bureaux plus loin. Sans demander à mon client s’il acceptait d’être entendu sans avocat.

 

Mercredi, 16 heures 30: le Confrère local m’a invité dans ses locaux. Je bénéficie d’un café, d’un bureau, d’un ordinateur et d’une salle climatisée. Le bonheur. J’attends l’arme au pied que la gendarmerie m’indique à quelle heure elle entend auditionner de nouveau mon client. « on vous dit ça rapidement, Maître ».

 

Mercredi, 17 h 53. « Allô Maître votre client on le réentend demain matin ». Ok mais j’ai un renvoi d’audience à 9 heures donc 10 heures ça vous va ? « ça me va. »

 

Mercredi, 18 h 25 et 18 h 35. Rappel des parents inquiets, pendant que je prends de l »essence et regonfle mes pneus. Tenter de les rassurer. Gens charmants. Dur de leur faire comprendre avec des trésors de précautions, que leur fils risque de passer directement de la case gendarmerie à la case prison.

 

Mercredi, 21 h 01: appel alors que je suis dans mon bain. « Bonjour Maître, je suis le gendarme qui ai mené l’audition de X. On compte le réentendre demain matin ». Vous aussi ?? Bon, je ferai un lot avec l’autre… « ah mais nous, ce sera à 11 heures, mais dans une autre gendarmerie, 35 km plus loin… » Arrgh.

 

Jeudi, 9 heures 40. Je viens à peine de me garer sur le parking de la gendarmerie, que je reçois un SMS de Catherine. « Tu as un troisième gardé à vue là-bas, occupe t’en ». Je lui réponds en retour « non pas possible je ne peux pas tout faire, là j’en ai deux au feu dont un à 35 km des 50 km de cette foutue gendarmerie ». Elle me répond « ok je vois avec suppléante 2. Ouf. »

 

Dès mon arrivée, surprise. On m’indique que mon client volubile, est auditionné, seul, depuis 9 heures du matin. L’audition est encore en cours. Sans m’avoir prévenu. Sans lui avoir demandé s’il acceptait d’être entendu hors présence de son avocat. Normal.

Comme je demande à me greffer à la conversation aimable qu’il doit avoir avec l’OPJ, l’on m’en dissuade. « tout à l’heure, Maître. Mais maintenant on a besoin de vous pour Y. C’est juste pour un entretien, il pourra avoir un autre avocat après. Mais ça aiderait, ça le détendrait de voir un avocat. »

Bon, si ça peut le détendre…J’accepte.

On m’introduit un agité agressif dans un bureau. Avec plusieurs PV cela va de soi, afin que l’entretien soit le moins fructueux possible entre nécessité de lire la paperasse et de rassurer l’angoissé. Il est énervé et me déplait fortement. D’ailleurs le débat tourne court: il n’est autre que…celui qu’a chargé X la veille. Les gendarmes, ces enfoirés (et je pèse mes mots), ne pouvaient l’ignorer… et ils m’ont mis en situation délicate de conflit d’intérêts à devoir m’entretenir avec le fournisseur « donné » par mon client !! Cela m’apprendra à rendre service à la maréchaussée. Je mets fin à l’entretien, Y hurle: « vous m’avez donné l’avocat de X ! c’est quoi c’t'embrouille ?! »

 

Jeudi, 10 heures 30. pendant que l’on m’a égaré avec Y, « on » en a profité pour terminer l’audition de mon client initial. Oh, juste une broutille: on lui a fait reconnaître clients et fournisseurs sur un tapissage photographique. Un détail…pas besoin d’avocat pour si peu…

Et l’on m’informe que mon client verra le juge d’instruction à 13 heures 30

 

Jeudi, 11 heures : appel de la gendarmerie où se trouve X: vu le timing serré, je ne pourrai pas passer le voir. « c’est pas grave Maître c’est juste un tapissage photo »… Décidément !

 

Jeudi, 13 heures 30. Sitôt arrivé au Tribunal suis assailli par la famille de mon client déféré. Ses parents et sa sœur de 16 ans. des gens très bien, très dignes, très inquiets. très lucides aussi, sur les agissements de leur fils. Prêts à le sauver, à le soigner. Vais mettre ma robe, par 40 degrés à l’ombre. Sont fous ces avocats.

 

Jeudi, 14 heures. J’apprends par un greffier que les mises en examen du matin ne sont pas encore passées. J’obtiens un double du dossier de mon client, guère épais. Comme lui. Consulté en 10 mn. « Maître vous passerez vers 15 heures. »

 

Jeudi, 15 heures. j’ai mis à profit cette heure de répit pour prendre des écritures dénonçant les violations des droits de mon client. Pas d’avocat hier, pas d’avocat aujourd’hui, pas de mention que l’avocat soit prévenu de l’heure d’audition, pas de demande au gardé à vue s’il accepte d’être auditionné sans avocat. Une broutille.

J’invoque le Code de procédure pénale et la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

J’espère ainsi convaincre la juge d’instruction de ne pas mettre mon client en examen sur le fondement d’une procédure nulle, ni à tout le moins de saisir le Juge des Libertés et de la Détention. Je pense avoir la liberté de mon client au bout du stylo, et tout à l’heure, de la langue.

Les auditions ont pris du retard. Je ne passerai pas avant 16 heures.

 

jeudi, 15 heures 30: je sors ma voiture du Palais qui à cause de Vigipirate, ferme ses grilles à 17 heures. Avec refus formel par la Présidente, de les rouvrir pour les retardataires ou les étourdis. Plus d’un Confrère s’est ainsi vu confisqué sa voiture alors qu’occupé à plaider, il n’avait pas les yeux rivés sur sa montre. Moi-même ai le souvenir cuisant d’avoir dû, dans l’attente de ma voiture séquestrée jusqu’au petit matin, dormir par terre dans mon cabinet. Le jonc de mer, ça gratte.

 

jeudi, 16 heures 30. Toujours pas passés devant la Juge d’instruction. Je descends dans les geôles du Tribunal trouver un peu de fraîcheur et mon client. Il est là depuis 13 heures, sans livre, sans rien, mais avec un compagnon d’infortune pour se distraire. Je lui fais part de mes découvertes de nullités de procédure et lui demande de surtout se taire et de me laisser faire.

 

jeudi, 17 heures. Panique au Tribunal. Le fait est qu’un Juge des Enfants est muté et avait prévu son pot d’adieu, dans le hall d’entrée. Sauf que… s’y trouvent des familles angoissées qui attendent de savoir si un fils, un compagnon ou un frère, dormira ce soir en détention. Lan Présidente du Tribunal les invite à monter dans une salle d’audience, « il y fera plus frais, ne vous inquiétez pas, on viendra vous chercher ! »

Sauf que les familles veulent voir passer leur proche pour un dernier signe, voire un baiser. Elles s’installent donc sur la mezzanine du Palais de Justice. Qui a une vue imprenable et plongeante sur les tréteaux en attente de petits fours.

Le juge en l’honneur duquel le pot de départ est prévu, pète un cable devant cette scène surréaliste. « Hors de question de faire ça comme ça, devant ces gens ! Un peu de décence ! » Il n’a pas tort. Les caissons de verres , bouteilles de crémant et de mini pizzas sont prestemment évacués vers une cour intérieure. Au moins les familles se verront épargner cela: des juges, personnels du Tribunal et avocats qui trinquent joyeusement, juste sous leurs yeux déjà embués de larmes.

 

jeudi, 17 heures 30. Mon client est enfin entendu. Enfin, il respecte ma consigne de se taire. Je développe mes observations concernant les nullités de procès-verbaux en garde à vue. La Juge d’Instruction prend note de mes remarques, puis me dit d’un air contrit : »bon, je le mets en examen quand même, parce que j’ai des éléments ailleurs que sur ces procès-verbaux. et vous tenterez votre chance devant le JLD, que je saisis par ailleurs. »

A l’annonce à mon client de sa mise en examen et de sa possible détention provisoire, une clameur s’entend par la fenêtre restée ouverte. Des applaudissements. Des rires. En provenance de la cour où le pot de départ du magistrat a été délocalisé. Juste sous les fenêtres du juge d’instruction. Mon client repart menotté vers le JLD, tandis que par la fenêtre, on entend le procureur faire un sketch pour son collègue. « Pierre, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Tribunal pour Enfants. » « ton code d’accès c’est B-A-R-R-E-T-O-I ». C’est très mauvais. Encore plus pendant une notification de mise en examen. Ce Tribunal a touché le fond de l’indécence et de l’inhumanité.

 

Le JLD ne statuera pas avant 18 heures 30. le temps d’aller boire un pot avec le collègue sur le départ. Où se rendent derechef la juge d’instruction et son greffier.

Et tant pis pour les familles et les mis en examen, qui attendent depuis 13 h 30. Une heure d’angoisse de plus ou de moins…

 

Jeudi, 18 heures 30. J’installe la famille de mon client dans la salle voûtée dévolue au JLD. Suis resté avec les parents et la sœur de mon client. Je n’allais pas rejoindre ce raout obscène. « Maître ils n’auraient pas pu faire ça plus tard, quand les justiciables sont partis ? » bonne question.

La mère de mon client, secrétaire dans une clinique vétérinaire, tente une comparaison terrible pour son fils : « nous, quand des gens viennent pour une euthanasie de leur animal, on fait attention de ne pas leur montrer si on fait un goûter entre nous avant.  On est délicats, déjà qu’ils vont perdre leur chien, c’est assez pénible comme ça… » Que répondre ?

Jeudi; 19 heures. Mon client ne passe pas en premier, il y en a un autre, avant. Sa famille prend place dans la salle JLD, nous la quittons. Pendant que la magistrate délibère sur son sort avec elle-même, le mis en examen est étreint par des proches en larmes. Scène insoutenable de celui qui sait qu’il va partir au trou, et de sa famille éplorée. les gendarmes demandent qu’ils l’enserrent, « un seul à la fois ». Il entoure sa petite amie le visage barbouillé de larmes, avec ses bras menottés.

 

Il est placé en détention provisoire. Malgré un travail, un domicile, des faits pas si graves. Sa petite amie sort en sanglotant. Catherine a bien plaidé, mais en vain.

 

Jeudi, 19 heures 30. « c’est à votre tour, Maître ». Non, Monsieur le Greffier, c’est surtout au tour de mon client. six heures qu’il attend. Sa famille aussi.

Il tente quelques explications embrouillées sur ses tentatives de soins, de sevrage, de trouver un emploi. Il s’enfonce encore plus dans la confusion.

Le parquet a été changé. Comprendre: ce n’est pas le procureur que l’on entendait tout à l’heure faire des sketchs qui va officier. Dommage. Je lui aurais volontiers dit ma façon de penser.

La procureure appuie là où ça fait mal: absence de travail, trafic réitéré malgré un premier passage en garde à vue en mars, risque de réitération, nombreux clients.

Je plaide. 6 heures que j’attends de cracher mon venin. Contre ces gendarmes si peu respectueux du Code de procédure pénale. Contre cette mise en examen « sous vos applaudissements », aussi obscène qu’indécente, qui donne au Tribunal le devoir moral de ne pas envoyer celui-là au trou après avoir subi cela. Je plaide la famille éplorée. Les garanties de représentation. propose un contrôle judiciaire strict avec obligation de soins.

Nous sortons pendant le délibéré. Mon client craque. Il dit qu’il va se suicider, se taper la tête contre les murs. Sa sœur de 16 ans le supplie: « on a déjà perdu papy, alors pas toi ! » Je tente un « rien n’est perdu, vous avez une famille unie qui vous aime ». Mais mon client a déjà endossé le costume du prisonnier. Il va connaître la tôle pour la première fois de sa jeune vie.

« Maître, ces quatre mois de détention vont-ils faire tomber les quatre mois de sursis de ma précédente affaire ? « 

Apparemment il n’a pas compris. Je lui explique donc qu’ il ne s’agit pas d’une condamnation mais d’un placement en détention provisoire pour les nécessités de l’enquête. Qu’il sera jugé ultérieurement. Et qu’ il risque d’ailleurs bien plus que ces 4 mois. Je lui révèle que cette durée de 4 mois est reconductible mais également interruptible à tout moment sur demande de mise en liberté accueillie favorablement.

Mon client et sa famille semblent assommés par ces précisions. Désormais, dans le couloir d’attente, l’on n’entend plus que de légers sanglots de sa petite sœur qui tente de contenir ses larmes, et le bruit sourd d’un tampon apposé avec force dans la salle du JLD. L’ordonnance est prête,  c’est bientôt fini. Un dernier bruit de métal d’une agrafeuse. Et enfin nous allons savoir. Mon client et sa famille sont rappelés dans la salle d’audience où ils rentrent le cœur lourd, chargé de fols espoirs.

jeudi, 20 heures. « J’ai décidé de vous placer en détention provisoire. Il y a un trop grand risque de récidive vu qu’une première garde à vue ne vous aura pas suffi. »

Voilà, c’est fini.

Tiens on n’entend pas un magistrat chanter dans la cour où se continue le pot de départ  : « libérée, délivrée ». Étrange. Pourtant, j’aurais cru.

La sœur de mon client éclate en sanglots.

La JLD: « c’est qui ? Votre petite sœur ? Vous voyez tout le mal que vous faites à votre petite sœur !! »

Le temps était lourd, aujourd’hui. Il était au non respect des droits fondamentaux, à l’indignité humaine, à l’obscénité, au moralisme, à l’inhumanité.

 

Chez les magistrats, c’était la fête.

 

Pour mon client et sa famille anéantie, c’était pas de pot.

 

Quand une jeune fille de 16 ans, le visage rougi, a trouvé la force de me dire « merci pour tout ce que vous avez fait », moi aussi, j’ai pleuré.

 

  1. Maître, en tout ce qui concerne les questions de procédure etc., je ne peux qu’être d’accord avec vous.

    Permettez-moi tout de même de trouver qu’en ce qui concerne le pot de départ, même si sans doute il aurait pu être fait à un autre moment, reprocher aux magistrats les applaudissements etc je trouve cela exagéré (ce sont aussi des gens qui ont des collègues, qu’ils ont pu apprécier). Il y aurait eu aussi une autre possibilité pour votre client de ne pas entendre ces applaudissements pendant son audition, c’est de ne pas avoir dealé de la drogue! Peut-être faut-il tout de même remettre un peu les choses à leur place.

    Guillaume 3 juillet 2015 à 7 h 22 min Permalink
  2. Cher Guillaume

    Quand on deale de la drogue, on est condamné. Mais la peine ce n’est pas de se voir infligé une torture morale, et aucun délit, ni aucun crime, ne justifie que l’on soit mis en examen, placé en détention ou condamné, sous les rires et les applaudissements, même s’ils ne vous sont pas destinés. Cela s’appelle la décence et la dignité. Toutes deux ont fait défaut, manifestement, hier soir, dans ce Tribunal censé rendre la Justice. Je suis toujours sidéré par l’intransigeance et le coeur durci de ceux qui estiment qu’à partir du moment où « fallait pas » ou « n’avait qu’à pas », le transgresseur peut subir tous les outrages et toutes les humiliations. La Justice, ce n’est pas cela, cela ne doit pas être cela.

    Quant aux magistrats, je ne leur dénie pas le droit de s’amuser ou de fêter leur collègue sur le départ, comme tout un chacun. Mais cela aurait pu, et dû, se faire à un autre moment ou un endroit plus discret pour ce faire, plutôt que juste sous les fenêtres du juge d’instruction, et juste au-dessus de la salle d’audience du JLD. Vous comme moi ne sommes pas à l’abri, Guillaume, de nous retrouver dans un bureau de juge d’instruction pour une mise en examen, ne serait ce que suite à une dénonciation calomnieuse. Ce jour-là, que je ne vous souhaite pas, sans doute serez-vous choqué d’une salve de rires et d’applaudissements venant de magistrats à l’extérieur, quand il vous sera signifié la saisine du Juge des Libertés, en vue de statuer sur votre éventuelle incarcération.

    souslarobe 3 juillet 2015 à 8 h 17 min Permalink
  3. Cher Maître, j’entends bien ce que vous dites, étant moi-même juriste, je n’ignore pas la possibilité pour chacun d’entre nous de se retrouver là. Sur choix du lieu et du moment, je veux bien être d’accord avec vous. Mais les applaudissements et les rires n’étaient pas destinés à outrager le prévenu ou à l’humilier, c’est un concours de circonstance, même si comme vous je pense, j’attends mieux d’un juge que d’un quidam.

    En fait ce qui me gêne, pour le dire plus clairement, c’est la confusion que vous induisez (je ne dis pas sciemment) dans l’esprit du lecteur entre les rires et la situation du prévenu alors que ce furent deux situations concomitantes, mais indépendantes.

    Au demeurant, permettez-moi de vous dire que je trouve votre blog très intéressant, aussi bien les billets d’humour que ceux parlant de sujets plus graves, comme celui que nous commentons. Votre plume est belle et amène à réfléchir. J’ai particulièrement apprécié votre billet sur l’audition devant le JAF où le juge avait décidé d’avance. Vous aviez bien remis les choses en perspective.

    Guillaume 3 juillet 2015 à 15 h 26 min Permalink

Ecrivez un Commentaire

Commenter Gravatar

Je suis con ou bien... ? |
VICTOR OJEDA-MARI AUTEUR ET... |
Désintoxicateur |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Les Réseaux Sociaux
| EN AVOIR OU PAS
| Actions populaires françaises