« Tes papiers ! Oh excusez-moi, Maître, je ne vous avais pas vu »

20 mai 12 Commentaires Catégorie: Non classé

La scène se passe dans une petite ville de province.

 Je suis l’invité d’une association dont le local se trouve dans ce que l’on appelle pudiquement un « quartier ». comprendre : « succession de barres d’immeubles à l’herbe rare (sauf en vente dans les halls) et béton omniprésent, où il ne faut surtout pas aller, malheureux, avec ton costume cravate et ton air de premier communiant tu ne tiendras pas 5 minutes avant de te faire caillasser, agresser, racketter, dépouiller, au mieux. »

 Soif d’aventure ? Inconscience ? Masochisme ? Ou tout simplement hermétique au « qu’en dira t’on » ? Toujours est-il que je passe outre les recommandations et vais vérifier par moi-même ce qui se trame « là-bas ».

 Une fois arrivé, première surprise: j’ai visiblement l’air perdu, ce que je suis, à la recherche d’un numéro 6 d’une rue qui a changé de nom depuis l’achat de mon GPS. Et il s’écoule bien une demi-heure après que je sois sorti de ma voiture, à découvert, portefeuille à la main (ne me demandez pas pourquoi; on est con, quand on est perdu) mais personne n’a encore tenté de m’agresser.

 Hé la racaille, qu’est ce que tu fais ? tu dors ? t’es couchée ?

 En plus j’ai un superbe macaron « avocat » sur le pare-brise et cela n’excite personne, sauf moi.

 De guerre lasse de ne pouvoir me débrouiller seul dans ce rendez-vous en terre inconnue, je cherche Frédéric Lopez, ne le trouve pas, et me rabats sur un autochtone à sweat-shirt et capuche.

  »Dites moi, mon ami, je me suis fourvoyé, auriez-vous l’extrême obligeance de m’aiguiller vers le bon chemin ? »

« Mais bien sûr, m’sieur ! pas de problème ! Le local c’est pas facile à trouver mais c’est tout près, je vais vous y amener ! »

Tiens, il ne me tutoie pas, ne me dit pas « z’y va » et ne m’invite pas à faire l’amour avec ma maman.. On m’aurait menti ?!

Je suis brutalement sorti de ma réflexion par l’irruption de deux hommes en blouson sombre, la mine patibulaire, qui mettent une main puissante sur l’épaule de mon interlocuteur.

  »Toi, tes papiers ! »

 Dans un premier temps je me dis « ton compte est bon, j’en étais sûr, il ne fallait pas venir, tu vas être témoin d’un racket, d’un vol de papiers d’identité, si ce n’est victime toi-même ».

 Puis je réalise que les agresseurs ont un brassard orange « police » et effectuent un contrôle d’identité, en fait.

Je me manifeste auprès de la maréchaussée: « Monsieur n’a rien fait de mal, il m’indiquait juste mon chemin, fort obligeamment, d’ailleurs. »

 Et je me crois obligé de rajouter « il est avec moi ! » Comme si nous nous trouvions face à des videurs de boîte de nuit, et si j’essayais de faire entrer un copain qui n’a pas le dress code…ou la bonne couleur de peau.

 Ce « il est avec moi », me renvoie à mes propres préjugés.

 Moi le blanc, j’ai le pouvoir de dire « lui c’est mon copain », je suis sa caution morale parce que moi j’ai la « bonne » couleur.

 Je pense alors au sketch de Gilles Détroit, quand il raconte son arrivée au commissariat avec son pote Mouloud (je crois) pour déclarer le vol de sa voiture.

-         bonjour, je viens déclarer le vol de ma voiture

-         le flic, regardant Mouloud « et vous avez trouvé le voleur »

-         mais non, c’est un ami !

-         le flic: « donc, vous êtes complice ! »

 Rien de tel dans mon histoire.

Le flic ne me taxe pas de complicité (de quoi, d’ailleurs ?). Il ne me demande même pas mes propres papiers.

Mais sa réaction n’en est pas moins sidérante.

  »oh excusez-moi Maître je ne vous avais pas vu. Bonne journée ! »

 Fin du contrôle.

Que signifie ce « je ne vous avais pas vu « ?

« je n’avais pas vu qu’il y avait un avocat dans les parages susceptible de contester la légalité du contrôle, visiblement « au faciès » ? Et de témoigner sur la violence de l’arrivée, sur la main sur l’épaule, sur le tutoiement ? »

« Je n’avais pas vu que cet allogène était accompagné d’un blanc avec un costume une cravate et des lunettes ? »

Et après on s’étonnera  encore que Zyed et Bouna aient fui la police sans avoir rien à se reprocher…

Je ne méconnais pas les difficultés rencontrées par les forces de l’ordre dans certains quartiers. Insultés, menacés, caillassés, agressés, leur mission tient du sacerdoce.

Mais cela justifie t’il les préjugés, la différence de traitement entre le blanc et le non-blanc, les contrôles à répétition des mêmes personnes plusieurs fois dans la journée, comme un jeu ou un harcèlement ?

Mon interlocuteur contrôlé m’a signifié, avec un sourire crispé, un « laissez, j’ai l’habitude » lourd de sous-entendus.

On s’habitue à tout, même à l’insupportable.

Vouloir savoir si c’est parce que la police harcèle les jeunes « des quartiers » que ceux-ci sont parfois agités ou si c’est parce que les jeunes   »des quartiers » sont agités que la police les contrôle en permanence et sans ménagements, c’est comme essayer de déterminer qui, de l’œuf ou de la poule, était là le premier.

Sauf qu’il va bien falloir nous sortir de ce cercle vicieux.

Car tant que les uns se sentiront malvenus et les autres stigmatisés, l’on maintiendra chacun dans sa propre caricature et le mur de l’incompréhension continuera de s’ériger entre une population et des représentants de l’état, censés la protéger.

Le Concours Eurovision de la Chanson a cette année pour thème, « bâtir des ponts ».

Il y a des ponts à bâtir, et pas seulement des ouvrages de béton gris.

Cela pourrait commencer par le rétablissement d’une police de proximité. De vraie proximité, avec des commissariats de quartier ouverts jour et nuit, des ilôtiers connus de tous qui vivent à l’intérieur de la cité et qui créent du lien, et pas une compagnie de CRS anonymes qui débarque dès qu’il y a du grabuge, tape un peu partout, embarque quelques excités et repart en laissant de nouveau le territoire à l’abandon, livré à lui-même.

Cela pourrait commencer par du respect montré par les représentants de l’ordre républicain aux citoyens. Courtoisie, vouvoiement, contrôles justifiés par une raison impérieuse toute autre que celle de montrer ses muscles et de « faire chier » une certaine population qu’on « n’aime pas » et dont la couleur de peau constitue déjà en soi une raison de suspicion.

Alors, on arrêtera de jouer aux gendarmes et aux voleurs, aux flics cons et aux provocateurs guère moins caricaturaux ni plus intelligents.

« Je pose ma matraque, tu poses ton pavé » disait Belmondo dans « Peur sur la Ville ».

L’avenir passe assurément par le fait que des jeunes « des quartiers »‘ deviennent eux-mêmes policiers.

Mais encore faut-il leur en donner l’envie.

12 Réponses

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  1. Ce qui éveille un écho venu de ce qui sera le fond des temps pour certains.

    Été 1995, inauguration du plan Vigipirate.

    Jeune et plein d’hormones je déambule, l’air hagard, les cheveux aux épaules et la clope au bec (Éteinte, rebel, mais pas trop) dans l’échangeur RER de Chatelet-Les Halles.

    Le même impérieux « Toi, tes papiers ! » (sans, toutefois, la main sur l’épaule) interrompt ma rêverie.

    Jeune mais pas con, j’obtempère.

    Le fonctionnaire consulte ma carte d’identité et me la rend accompagnée d’un « C’est bon, vous pouvez circuler », incluant une petite note de déférence dans le ton.

    Ma seule explication quand à ce qui a pu motiver le changement de ton ?
    La particule de mon patronyme. Sinon, je ne vois pas.

    Ne me demandez pas de m’étonner que ceux subissent ça au quotidien fuient devant les forces de l’ordre.

    Vive_Levant 20 mai 2015 à 15 h 25 min Permalink
  2. Il faut bien, malheureusement aussi, que ces pauvres policiers de la Bac justifient leur présence, leur errance en ces lieux de perdition des heures durant. Ils ne vont pas arrêter leurs indics, qui vendent déjà de l’herbe dans le hall, alors ils arrêtent plutôt le passant. C’est de la mauvaise Police, oui. La police de proximité serait plus intelligente mais l’intelligence fait défaut au politique, pas seulement dans ce domaine.

    Pour Zyed et Bouna, j’en suis désolé pour eux et surtout pour leur proches, évidemment. Mais je ne vois pas en quoi les policiers peuvent être tenus pour responsables directement de ce mauvais choix et de cette prise de risque inadaptée. La justice a jugé et estimé que ce n’était effectivement pas leur responsabilité : cela ne les exonère pas de comportements inadaptés éventuels mais uniquement de cette responsabilité directe.

    John_doe 20 mai 2015 à 17 h 00 min Permalink
  3. Sa prouve bien dans quelle genre de société on vit on ne peut mêle plus adresser la parole aux gens sans être prit pour des criminels. Elle est belle la France.

    melissa 20 mai 2015 à 20 h 55 min Permalink
    • quand j’arrive a Paris je dois me réhabituer à ne pas regarder les gens , à ne pas leur sourire, à ne pas leur parler. Cela parait normal aux parisiens mais pas à ceux qui ne vivent pas ( ou plus) à Paris. Dans mon village, chacun salue celui qu’il croise même si on ne connait pas. Ceux qui ne disent pas bonjour sont des gens  » de la ville »

      katharina 21 mai 2015 à 16 h 51 min Permalink
      • j’ai habité près de 30 ans en banlieue…puis 10 ans a Paris à la porte de la chapelle, ma famille vient de tous petit village de moins de 200 habitants ou j’ai eu l’occasion de passer du temps et d’observer les interactions sociales;je vis maintenant dans une ville de 20000 habitants dans le nord de l’Essonne….on peu dire que j’ai pu expérimenter une petite pallette de lieu de vie… du rural au très urbain :
        1/ les Parisiens sont bien plus aimables que vous ne le pensez et tous les gens que vous croisez ou a qui vous parlez sur Paris ne sont pas forcement des habitants de Paris ni du Parisiens sur 5 générations: il y a beaucoup de gens qui viennent juste bosser. …2/ Quand j’allais faire une petite course dans mon quartier, ce qui en principe devait me prendre 15 minutes m’en prenait finalement 3 ou 4 fois plus car nous sommes nombreux a êtres voisins dans le secteur (rapport au nombre d’habitant au km²…autant de bonjour a donner de près ou de loin…Bref imaginons que je doive en prime saluer systématiquement la cinquantaine (fastoche! en vrai c’est bien plus dans ce coin là de Panam’) de personnes inconnues que je suis susceptible de croiser durant ma petite course …ben il me faudrait 1h30 pour aller me chercher des clopes ou aller prendre mon métro juste au bas de la rue.

        Aurore.H 23 mai 2015 à 11 h 41 min Permalink
  4. Contrôle au faciès une amie de lycée fin des années 90 avait été contrôlée dans le métro parisien, elle était toute noire bien sur mais quand les policiers ont vu ses papiers français ils ont dit : » c est bon elle est blanche » ..et ils se sont dirigés vers une famille de gens qui n’était probablement pas blancs,
    Après on peut toujours espérer que c etait du jargon de policier pour dire que ses documents étaient en règle .. On peut

    Grise 20 mai 2015 à 22 h 06 min Permalink
  5. J’ai un jour été refaire ma carte d’identité. Ca faisait 4 ans que je l’avais perdue (et que je vivais donc sans papiers). J’habitais à Aubervillers. Devant l’étonnement de la policière qui se demandait comment j’avais pu vivre 4 ans sans CI je lui répondis avec simplicité : »Ho, c’est facile : je suis blanche ». Elle se fâche : « Non mais qu’est-ce que vous insinuez ?!! bla blah ».
    Je la laisse me faire son discours hypocrite, puis je lui glisse doucement : « Chère Madame, je crois que quelque chose vous a échappé : je n’insinue rien du tout, je constate simplement : je vis ici, je prends les transports parisiens, parfois même je suis en infraction, je suis blanche, et depuis 4 ans je n’ai pas de papiers, et ça ne m’a posé AUCUN problème. Pendant ce temps certains se font contrôler 3 fois par jour. A VOUS d’en tirer les conclusions qui s’imposent… ».

    Eleonore 20 mai 2015 à 23 h 48 min Permalink
  6. Bonjour,

    Des fois l’habit semble faire le moine. Il y a quelques années je passais souvent gare du nord à Paris entre les quais de la ligne 4 et la gare SNCF. De nombreuses fois j’ai été témoin et jamais contrôlé. Sans doute parce que blanc, sapé correctement mais sans plus (jean,basket, t-shirt).

    Mais voilà qu’un jour, la température ayant chu, je décida de mettre un sweet-a-capuche et mon cuir Harley-Davidson. Quelle ne fut ma surprise au passage sus-mentionné d’être controlé. Oh, les forces ne l’ordre n’ont rien eu à me reprocher simplement un « votre laguiole, laissez le bien au fond du sac hein. Au revoir monsieur, bonne journée ». Étonnant non ?

    le_jax 21 mai 2015 à 6 h 10 min Permalink
  7. Depuis quand « les papiers » sont-ils obligatoires, en France ??

    Youz 21 mai 2015 à 15 h 13 min Permalink
  8. Et à aucun moment vous ne vous êtes dit que c’était peut-être du fait de cette présence policière – certes un peu rustre – que vous ne vous êtes pas fait agresser ?

    Le retour d’une police de proximité serait le bienvenu, de là à théoriser votre unique sortie en plein jour en banlieue… Emménagez-y et on reparlera de votre avis sur ces affreux policiers qui se font insulter et prendre en embuscade dès que l’occasion se présente.

    Alceste 23 mai 2015 à 16 h 03 min Permalink
    • Me demande qui théorise le plus…

      ccelaoui 27 mai 2015 à 12 h 53 min Permalink
  9. Tellement facile de taper toujours sur les mêmes, en se délectant au passage de se faire passer pour un grand humaniste. Prenez l’uniforme, allez en banlieue et on en reparle au bout de 24h, quand vous tremblerez de tous vos membres.

    Chtimi 26 octobre 2021 à 19 h 23 min Permalink

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