Le regard de l’autre

18 janvier 0 Commentaire Catégorie: Non classé

Aujourd’hui, Charlie a la gueule de bois.

Passé l’euphorie de ces millions de personnes, de toutes classes sociales et de toutes origines, qui se sont retrouvées derrière un même slogan: « Je Suis Charlie »; passé le sentiment d’être une nation unie contre la haine – car c’est toujours face au péril que l’on se serre les coudes et que l’on se découvre, ou l’on se retrouve, un seul et même peuple; passées les fraternisations avec les CRS à grands renforts d’applaudissements et d’embrassades; passées les pancartes « je suis musulman et je suis Charlie » qui se voulaient une réponse cinglante à tous les amalgames. Oui, passé tout cela, il a bien fallu que Charlie survive à l’épreuve du concret, du quotidien.

Charlie, qu’as-tu fait de ta victoire ?

Nous étions tous derrière toi, Charlie, avec notre armée de drapeaux et de stylos, nous citoyens, et bien au-delà de nos frontières, pour te consoler, te soutenir, te relever, te faire continuer à vivre, malgré tout, malgré eux.

Nous étions toi, Charlie.

Parce qu’avec tes dessinateurs, c’est la Liberté qu’on assassine. Parce qu’à travers toi, ce sont nos valeurs et notre mode de pensée et de vie qui sont atteintes.

Et puis, tu as sorti un nouvel hebdo. Le numéro de l’ »après ». Celui que nous attendions tous.

Tu l’as voulu à ton image, Charlie. Alors pour la une sur fond vert -couleur d’Islam-, tu as fait paraître un dessin. De Mahomet.

Ton Mahomet pleure, il distille des messages : « Je suis Charlie », « tout est pardonné ».

Il arbore un turban qui fait furieusement penser à une paire de couilles, et une bouche que d’aucuns identifient à un sexe de femme.

Il n’est pas méchant, ton Mahomet, Charlie. Au moins celui-là ne le représentes-tu pas en train de se faire sodomiser, comme ce fut le cas sur un précédent dessin.

Ton Mahomet sodomisé, j’en avais parlé avec un journaliste venu m’interviewer au sujet de tes assassins. Il était resté trois heures à mon Cabinet, ce qui crée des liens. Entre deux prises de vues, il m’avait confié combien ce dessin l’avait blessé, lui musulman, au plus profond de son âme, de sa croyance. Il avait convenu que cela ne valait pas ta mort, qu’il n’excusait en rien les salauds qui t’ont fait ça. Mais il t’en voulait, Charlie. Il t’en voulait de ton attitude de sale gosse égoïste qui croit qu’il peut tout dire au nom de la liberté d’expression, parce qu’il ne respecte rien et n’a que faire de comment les autres peuvent percevoir, peuvent recevoir, ses moqueries.

Car le problème est bien là, Charlie. Tu n’es pas tout seul. En face de toi qui crayonnes, il y a un autre, plusieurs autres. Qui n’ont pas le même humour que toi, voire pas d’humour du tout. Qui méritent le respect dans ce qu’ils sont et ce qu’ils croient. Qui n’ont pas toujours le recul nécessaire ou le bagage intellectuel de comprendre le second degré. Qui te dénient le droit de représenter celui qu’ils considèrent comme leur prophète.

Alors à ton prophète à turban couilles, certains ont répliqué. En Algérie, au Pakistan, en Afghanistan, au Sénégal, Au Mali, au Niger…

Des drapeaux tricolores ont été brûlés. Des centres culturels français, saccagés. Certains de nos ressortissants expatriés ont dû rester terrés chez eux. Des églises ont été détruites, summum de l’absurde, quand on sait que le Pape François, tout en se disant attaché à la liberté d’expression, a demandé que celle-ci ne tombe pas dans la provocation. « on ne peut pas provoquer, on ne peut pas insulter la foi des autres, on ne peut pas se moquer de la foi ! »

Le saccage des églises malgré ces paroles du Pape en dit long sur le degré d’ignorance des assaillants, et sur leur fanatisme aussi. Des manifestants sont même allés jusqu’à mourir pour, ou plutôt contre, toi, Charlie.

Le problème du fanatisme c’est qu’il conduit à l’aveuglement; qu’il consiste à ne plus voir l’autre, comme un être pouvant être doté d’idées différentes des siennes. De ne pas supporter l’autre quand il ne pense pas comme soi.

Ces manifestants et ces assaillants, dont il convient de rappeler qu’ils sont une infime minorité (à peine 3000 personnes à Alger, notamment), goutte d’eau perdue dans l’océan du monde Musulman, ont leurs idées, leur culture, leurs croyances, leur sacré.  Pour eux, la liberté d’expression n’est qu’un concept d’occidentaux décadents, car Dieu et son prophète sont au-dessus de tout, ils doivent être craints et respectés (« Islam » signifie « soumission »), et on ne se moque pas de Dieu, on ne représente pas le Prophète, a fortiori en le caricaturant.

Pour eux, nous faisons partie d’une nation impie où l’on a le droit d’écouter de la musique et de boire de l’alcool, où les femmes peuvent porter des mini-jupes et arborer des décolletés pigeonnants, mais où il leur est interdit de se voiler dans les écoles, les administrations…Un monde nous sépare.

Pour eux, nous sommes les blancs, les chrétiens, les croisés. Même toi Charlie, qui conchies la religion, tu es assimilé à la Sainte Eglise Catholique.

Mais toi Charlie, si tu es pacifique, si toi tu ne tues ni ne saccages ni ne cherches à imposer par la force ta vision de la société, si tu es du côté des victimes tandis qu’eux glorifient tes bourreaux, tu n’es pas en reste, côté irrespect de l’autre.

Tu te fous de tout: de l’ordre établi, des bienséances, de l’autorité, des conventions, du regard des autres, des conséquences pour les autres et pour les tiens, de tes actes. Tu t’affranchis des limites, en libertaire que tu es.

J’étais comme toi, Charlie.

Je croyais égoïstement que ceux qui ne goûtaient pas mon humour n’étaient que des pisse-froid et que je n’avais que faire de leur avis, car j’avais parfaitement le droit de dire ce que je pensais, quelles qu’en fussent les conséquences.

Et puis un jour, l’exercice de mon droit d’expression a fait beaucoup de peine.

Nous étions un lendemain de mariage. Celui d’un couple d’amis adorable, très simple et formidablement généreux. Sauf que nous n’étions pas exactement du même « milieu » et n’avions pas du tout les mêmes goûts, surtout en matière de fête.

J’avais subi la veille, sans rien dire, car on ne se fâche pas un si beau jour, leur notion de l’amusement: farandoles, grivoiseries, qui ne sont absolument pas ma tasse de thé. Mes voisins de table m’avaient semblé aussi lourds que le poids de tous mes Codes réunis. C’est donc en traînant des pieds, et quelque peu incité par mon épouse, que je suis revenu pour le brunch du lendemain, non pas tant pour retrouver des personnes avec qui nous n’avions aucun atome crochu, que pour la visite d’un domaine viticole qui nous était promise.

Et là, Charlie, j’ai commis LA faute. Une tante ou une cousine de la mariée, je ne sais plus, m’a retiré ma chaise pour me forcer à participer à une énième chenille ou queuleuleu. Tombé sur mon séant, une moquerie a fusé toute seule. Je n’ai pas pu m’empêcher d’ironiser sur ce mariage « de beaufs ».

Autant te dire, Charlie, que mon épouse et moi, avons rapidement dû partir, devant les regards lourdement réprobateurs de l’assistance et une mariée en larmes qui m’accusait d’avoir gâché son mariage, rien de moins.

Nous ne nous sommes plus jamais revus.

En renvoyant ces gens à leur beaufitude, je n’ai fait qu’user de ma liberté d’expression.

Mais des mots peuvent blesser, et même parfois tuer, aussi sûrement qu’une rafale de kalash.

Parce que pour rire, il faut être deux: le moqueur, et le moqué.

Parce qu’on n’est pas tout seuls.

Parce qu’en face, il y a des fous.

Parce que ces fous, si tu agites un chiffon vert avec un dessin de leur Prophète devant leur nez, tu es certain que tu vas les voir charger comme des taureaux. Bien sûr que le taureau a tort.

Sauf que tu n’es pas seul dans l’arène, Charlie.

Il y a nous.

 

 

 

 

 

 

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