Vous resterez bien avec nous pour les vacances ?
Dans un précédent article (« la détention c’est simple comme un copié-collé »), je vous avais conté les mésaventures de Kushorkumar, français d’origine indienne au casier judiciaire vierge, transformé par un juge en Pakistanais déjà condamné, pour motiver sa mise en détention provisoire.
Son chemin de croix judiciaire continue et il n’est pas près de prendre fin.
Dernier épisode en date : je lui ai rendu une visite « de courtoisie » (de quoi d’autre, alors que le dossier n’a pas avancé d’un pouce depuis deux mois et que je n’ai même pas reçu les pièces ?). Chez lui, enfin, son nouveau chez lui : en maison d’arrêt, où il a été placé à l’ombre, sans jugement, « à titre préventif ». Je suppose qu’il s’agit de le prévenir des coups de ce soleil Lyonnais qui tape depuis plusieurs semaines. La Justice est très prévenante et veille à la santé des justiciables.
J’ai cet avantage et ce privilège : moi, quand je rentre en prison, j’en ressors quand je veux… j’en suis donc ressorti, certes, mais fortement ébranlé. Par la lettre déchirante que mon client avait reçu de son fils et qu’il m’a montrée : « papa, tu dois revenir d’urgence, on ne peut plus vivre sans toi. Il n’y a plus d’argent, papa. On va nous couper l’électricité, comme on nous a coupé le téléphone. »
Je fonce dans le bureau de la juge d’instruction. Elle n’est pas là, partie en Espagne. « pour le travail », croit devoir préciser sa greffière.
« ah bon, vous n’avez toujours pas reçu les pièces ? attendez, je vous les donne alors ! » Et de me sortir dans une pile, un CD ROM tout prêt…j’ai attendu deux mois ce qui aurait pu m’être donné en deux secondes. La Justice est formidable.
Enhardi par ce premier succès, je tente la demande d’audition : « savez vous si Madame le Juge compte entendre mon client dans les prochains jours ? Il attend détenu depuis déjà deux mois »…
- « ça m’étonnerait, Maître, pas avant fin septembre ! »
- « mais pourquoi tout ce temps ? » demande-je, faussement naïf.
- « les vacances, Maître ! Moi la greffière je pars en juillet. Madame le juge part en août. Et début septembre on a un dossier plus gros que le vôtre. 30 tomes. Alors il a priorité. »
La Justice se fait donc au poids. Il va me falloir désormais retourner à la maison d’arrêt, expliquer à mon client…mais expliquer quoi ?
que le juge et la greffière partent en vacances et que cela justifie que lui soit privé de l’affection des siens, pour trois mois supplémentaires ?
qu’il aurait dû commettre des faits plus graves, parce que son dossier ne représente « que » 10 tomes, et que s’il en avait représenté 31 il aurait été traité en priorité ?
que la liberté d’un homme ne pèse rien, face au droit aux vacances ?
Finalement, mieux vaut ne rien expliquer. Juste passer une petite annonce « tribunal de Lyon cherche juge vacataire pour job d’été. Mission : ordonner la mise en liberté d’un mis en examen. Ne nécessite aucune connaissance particulière du dossier, la détention ayant été décidée et prolongée manifestement sans ouvrir celui-ci. »
Allez, je vous laisse Monsieur T. Restez bien à l’ombre. Et…euh…bonnes vacances !
Par ce temps glacial, comme un courant d’air… de Sibérie…