La détention, c’est simple comme un copié-collé
« Maître, votre client a un nom à coucher dehors ! »
Paradoxalement c’est pourtant bien entre quatre murs que l’auteur de cette fine saillie, magistrat de profession, a envoyé coucher désormais Kushorkumar. Les quatre murs d’une maison d’arrêt.
Kushorkumar est mis en examen d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier d’étrangers en France, en bande organisée et d’association de malfaiteurs en vue de la préparation de délit puni de 10 ans d’emprisonnement, en l’occurrence l’aide au séjour irrégulier en bande organisée.
Derrière ces deux chefs de poursuites pour le moins redondants, se cache une réalité plus simple : Kushorkumar a aidé des compatriotes indiens, à remplir leurs dossiers de demande d’asile auprès de la préfecture. et les a parfois accompagnés dans leurs démarches pour servir d’interprète. Sauf que certains avaient des faux papiers. Bref pas de quoi fouetter une vache sacrée, et si Kushorkumar n’avait eu la faiblesse de réclamer quelques sous, nous serions presque dans le délit de solidarité.
Une solidarité qui risque de lui coûter 10 ans de sa vie.
Son avocat a bien tenté de demander au magistrat qui lui signifiait sa mise en examen, de ne pas saisir le juge des libertés et de la détention, pour le placer sous simple contrôle judiciaire. Le magistrat l’avait écouté poliment lui parler d’humanité, de sa femme sans emploi et de ses trois enfants mineurs dont le plus jeune de huit ans, qui risquaient tous d’être mis à la rue si leur mari et père ne pouvait plus leur verser le moindre subside. De sa situation régulière en France depuis près de vingt ans. De son emploi et de sa résidence stables. De son casier judiciaire vierge. Puis le magistrat avait simplement dit « je saisis le juge des libertés et de la détention. »
Le juge des libertés et de la détention l’avait écouté tout aussi poliment, lui donner les mêmes arguments en faveur de sa remise en liberté. Puis après s’être retiré pour délibérer un temps infini, trois minutes, quatre peut-être, il lui avait dit d’un air contrit « je vous mets en détention dans l’attente d’une première confrontation, on fera le point après. rassurez-vous, ce ne sera pas long. »
Cela fait déjà deux mois.
Deux mois qu’il partage sa cellule avec un septuagénaire cardiaque dont on lui demande de surveiller l’état et de prévenir les matons en cas de malaise.
Deux mois qu’il n’a pas vu sa famille ni reçu la moindre lettre. Le permis de visite n’a toujours pas été accordé. Son fils aîné et on épouse viennent de Paris jusqu’à 500 km de là, chaque semaine, pour déposer du linge à la maison d’arrêt. Sans avoir le droit ne serait ce que de l’apercevoir.
Deux mois que son avocat n’a toujours pas pu prendre copie des pièces du dossier. La greffière n’a pas le temps de tout numériser. La défense attendra.
Quand il a reçu l’ordonnance indiquant les raisons de sa mise en détention, Kushorkumar a hurlé.
Le juge, ce bon juge faussement contrit à son égard, n’a manifestement pas pris la peine ne serait ce que d’ouvrir le dossier.
« attendu que l’intéressé est mis en examen pour sa participation à un important réseau international ayant pour but de permettre l’entrée et le séjour irrégulier de ressortissants Pakistanais »
en fait il s’agit d’Indiens. Mais Indien, Pakistanais, tout ça c’est ki-kif, n’est pas Monsieur le Juge ? On ne va pas s’arrêter à ce genre de détails frontaliers…
« attendu que l’intéressé reconnaît les faits qui lui sont reprochés »
grand classique : vous reconnaissez, donc vous allez au trou. Vous ne reconnaissez pas, donc vous avez des choses à cacher, donc il faut prouver ce que vous dissimulez, donc vous allez aussi au trou. Imparable.
« que son rôle (…) lui a rapporté environ 7 000 euros »
700, en fait. mauvaise traduction de l’interprète ? erreur de compréhension du juge ? erreur de frappe du greffier ? toujours est il que le butin de Kushorkumar et sa responsabilité ont été, d’un trait de plume, multipliés par dix.
et le meilleur pour la fin :
« attendu que l’intéressé est de nationalité pakistanaise; que l’on ne peut exclure sa fuite au Pakistan; qu’il convient de garantir sa représentation en Justice. »
le Pakistan, Kushorkumar n’y est jamais allé. Il a quitté sa région des Gujaratis d’Inde, directement pour la France. Il y a vingt ans. Sur place, il n’a plus qu’un vague neveu qui doit se marier ces jours-ci. Mais qu’importe. Paki, Indien, ici c’est même combat. Tout ça c’est des étrangers. Au trou !
Kushorkumar ne s’est pas laissé faire. Après avoir attendu gentiment un mois « parce que le juge a promis que ce ne serait pas long, j’ai confiance dans la justice et dans la France qui m’a accueilli », il a formé, du fond de sa geôle, une timide demande de mise en liberté « s’il vous plaît ».
Il n’a même pas été entendu à l’appui de sa demande, son avocat non plus. Tout s’est joué en son absence, dans des bureaux. Un autre juge des libertés et de la détention, sans le voir, sans l’entendre, a confirmé bien vite l’ordonnance de son collègue. Avec exactement les mêmes motifs et les mêmes erreurs. On y parle encore de ressortissants pakistanais, de sa nationalité pakistanaise. On y ajoute simplement qu’il a déjà été condamné pour des faits identiques, ce qui est inexact. Son casier judiciaire est vierge.
En clair, pas davantage que le premier, le second juge n’a ouvert le dossier. Sans doute s’est il contenté d’un avis du procureur : « Kuskorkumar T….. ? ah oui celui qui a un nom à coucher dehors, c’est un paki, si tu me le libères on le revoit plus, il va direct à Islamabad ! »
Aujourd’hui Kushorkumar va mal. Aussi mal que la « Justice » qui le maintient en détention avec autant de désinvolture.
Quand, le soir même où il partait en détention, je suis venu chercher auprès d’elle mon permis de visite de Kushorkumar T…, devant ma mine abattue, la juge d’instruction a éclaté de rire.
Kushorkumar sera t’il le prochain pendu ?