Je suis un avocat cadeau !
« Ah c’est vous, l’avocat-cadeau » !
C’est en ces termes que m’accueillit un jour une cliente. Non qu’elle m’ait trouvé dans son baril de lessive. Elle voulait simplement dire que j’étais l’avocat commis d’office par le Bâtonnier, pour la défendre gratuitement au titre de l’aide juridictionnelle.
L’avocat-cadeau, l’expression a le mérite d’être suffisamment parlante et de résumer parfaitement la conception communément partagée par bon nombre de nos concitoyens. Et pas seulement par ceux bénéficiaires de l’aide juridictionnelle.
Le boulanger, lui au moins, vous remet une baguette de pain. Un bien concret, que l’on peut toucher (et manger !). Personne ou presque, n’aurait dès lors l’idée de se rendre dans une boulangerie, de s’y faire remettre pains et croissants, et de repartir sans payer.
L’avocat, en revanche, réalise une prestation intellectuelle. Il ne remet aucun bien matériel, il ne fait que parler, « brasser du vent et des mots », alors pourquoi paierait-on un « simple conseil », « juste un renseignement » ? Nous sommes trop souvent assimilés au quidam à qui l’on demande son chemin dans la rue, ou à l’hôtesse d’accueil qui vous indique l’étage de la société X, ou encore au guichetier qui donne l’horaire des trains. Payer ce genre de renseignement paraît inconcevable. Payer une consultation d’avocat semble l’être tout autant, surtout si vous prenez bien soin que ladite consultation s’effectue par téléphone, ou à la fin d’un dîner, mais surtout, SURTOUT pas au Cabinet de l’avocat !
En douze années de pratique professionnelle, combien de fois en ai-je fait la désagréable expérience.
Il y a bien entendu les proches : parents, amis, ou ceux qui se considèrent comme tels, qui comprennent difficilement que les conseils juridiques que vous donniez gracieusement (et qu’ils ne se privaient pas de solliciter) quand vous n’étiez encore qu’étudiant en droit ou élève avocat, puissent désormais constituer votre gagne-pain et leur être facturés.
Il y a les petits malins qui considèrent que vous pouvez habiter sous les ponts et vous habiller d’une peau de bête, et qu’un bon repas suffira bien à vous « payer » de vos conseils. Combien de fois me suis-je retrouvé dans un pareil traquenard où, entre la poire et le fromage, – ô surprise !- l’on entreprend de vous soumettre à un grand quizz juridique, quand il ne s’agit pas de carrément vous mettre un dossier de plusieurs volumes sous le nez : « dis moi juste ce que tu en penses »… ce qui est en soi une absurdité : la fin d’un repas, qui plus est lorsqu’il est bien arrosé, est davantage propice à la sieste qu’à une réflexion de qualité. Bien souvent, le lendemain, ayant retrouvé un semblant de lucidité, je me suis vu appeler mon « client » pour rectifier ou préciser ma « consultation » de la veille…
Certes ces désagréments ne sont pas l’apanage des avocats : on ne compte plus le nombre d’ordinateurs « qui viennent justement de planter, par un malheureux hasard » juste le soir où l’on a invité l’ami informaticien à dîner; ni les maladies du petit dernier qui se déclarent subitement en présence du beau-frère médecin. Moi-même fils de médecin, je me souviens combien mon père pouvait être ainsi sollicité. Il s’en tirait souvent par un trait d’esprit qui clouait le bec à l’importun et dissuadait quiconque de tenter de le « taxer » d’une consultation gratuite. A un mariage, sa voisine de table l’avait abordé en ces termes : « vous qui êtes médecin, c’est un peu comme vétérinaire (sic! ) donc vous allez pouvoir me répondre…figurez vous que j’ai un amour de petit chat qui perd ses poils. que faire ? » Et mon père de répliquer : « évitez de faire de la bicyclette » ! Il fut tranquille pour le reste de la soirée…
Jeune avocat, je croyais naïvement que ces solliciteurs de soirée ou téléphoniques, viendraient ensuite à mon Cabinet et que j’avais donc tout à gagner à déférer à leurs demandes de conseils. L’expérience m’a prouvé que non. Désormais, j’ai trouvé la parade : je donne des conseils volontairement très vagues, des idées générales, en indiquant que l’affaire est d’importance et qu’il me faudrait étudier le dossier de plus près, ce qui nécessite une visite à mon Cabinet. Neuf solliciteurs sur dix en restent là, car bien entendu, le simple fait de franchir la porte de mon antre, les transformeraient par un mystérieux sortilège, en clients. Et le but de leur démarche auprès de moi, est précisément de ne pas avoir à devenir mes clients ! certains même annoncent d’emblée la couleur : ils ont déjà confié l’affaire à un autre avocat, qu’ils paient celui-là, et deux avis valant mieux qu’un, surtout si le second est gratuit, ils me demandent juste de confirmer ce qu’il leur a dit…me voilà juge de mes Confrères !
Depuis que j’ai prêté serment, je pense avoir presque tout vu, tout entendu en la matière. Voilà un petit florilège des arguments avancés par les aficionados de l’avocat-cadeau :
1) Pratique : « je ne te demande pas une consultation, tu n’auras qu’à répondre par oui ou par non ! »
2) Logique : « je ne vais tout de même pas payer alors que c’est moi qui vous ai apporté tous les documents ! »
3) Radin : « les frais que j’ai payé pour l’huissier, j’entends les déduire de vos honoraires ! »
4) Faussement naîf: « c’est juste un renseignement, pas une consultation. tu peux répondre t’as tout dans la tête, t’as même pas besoin d’ouvrir ton code ! »
5) sincère et réaliste : « tu comprends, on te demande à toi parce que notre avocat il nous ferait payer ! »
6) imaginatif : « vous êtes de Lyon mais moi je vous considère comme étant de Paris, alors vos frais de déplacement je ne veux pas les payer ! »
7) joueur : « je ne vous paie pas mais je vous donnerai une autre affaire ! »
8) pas partageur ni reconnaissant : « je ne peux pas vous payer par chèque vu que j’étais interdit bancaire avant les 20 000 euros que vous m’avez fait gagner, et qui ont servi à règler toutes mes dettes. maintenant je n’ai plus de quoi vous payer… »
9) culotté : « non je ne peux pas vous payer, je suis dans une galère…au fait pourriez-vous me préter 200 euros ? » ( de la part d’un acteur de sitcom !)
10) culpabilisateur : « vous m’avez gâché mon week end en me réclamant vos honoraires vendredi »
11) répartiteur : « vos honoraires au titre de la société X, prenez-les sur ce que je vous ai déjà donné dans l’affaire concernant la société Y, et je vous redonnerai des honoraires pour X… plus tard… »
12) bonimenteur : « j’attends qu’on ait gagné le procès pour vous payer. »
13) généreux mais pas trop: « je ne paie pas mais si on gagne on partagera une bonne bouteille ! »
14) ergoteur : « dites moi, je ne vais pas vous payer une heure pour une audience de renvoi…vous auriez pu le demander à distance et ne pas vous déplacer… »
15) moralisateur : « vous croyez pas que vous gagnez déjà assez d’argent comme ça ?! »
16) businessman : « je vous rappelle que je vous ai envoyé Monsieur X comme client et que je n’ai rien perçu de vous en retour, même pas un petit intéressement ! »
ceci pour ne citer que quelques cas récents…
Alors oui, avocat c’est un vrai métier, et comme tout travail mérite salaire, mes prestations, ça se paie !
Comme vous j’ai une famille à nourrir, des prêts à rembourser, un loyer chaque mois…
Non, on ne me paie pas après l’audience, surtout au pénal… (pas folle, la guêpe)…
Non, on ne me paie pas non plus en belles promesses…
Non, je ne suis pas vénal ni obsédé par l’argent…je suis simplement gentil mais pas poire, je veux bien être agneau mais pas gigot !
Oui, il m’arrive de donner des conseils gratuitement, de façon totalement désintéressée, mais uniquement aux très proches qui n’abusent pas.
Simple question de respect de ma personne et de la valeur de mon travail.
Alors si cela peut vous aider à matérialiser mes prestations, je peux même vous vendre une baguette en sus de la consultation !
Et le 17) « Justement, j’aurais besoin d’un conseil et je profite de votre blog … » ?
MCC, je suis avocat en Seine saint denis, et ici nous sommes appelés les « avocats leader price » lorsque nous sommes commis d’office…..cadeau c’est plus sympa finalement
Benoit j’ai lu ton blog avec amusement, les amis prolifèrent pour profiter de tes compétences et services parce que ils sont tes amis…
Detestable habitude que tu fais bien défaire cesser !
Bon et bête…
J’ai connu cela !
Et en plus si bénévolement tu te trompes, ces pseudos amis te font une publicité ravageuse !
C’est bien, tu as tout pigé.
Tout travail mérite rémunération.
Bonne continuation
Christian MONTEGU